AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de 5Arabella


La pièce semble avoir été créée pendant la saisons 1643-1644 au théâtre du Marais, la première publication date de 1644. Elle continuera à être jouée, d'une façon régulière, ce qui laisse supposer un certain succès. le titre originelle en était La mort de Pompée. Lors de la première publication de ses oeuvres complètes en 1660, Corneille modifie la pièce, et le change le titre. Il est coutumier (comme d'autres auteurs de cette époque), de ces procédés, il s'agissait dans l'esprit du temps, d'améliorer les oeuvres, les polir.

« A bien considérer cette Pièce, je ne crois pas qu'il y en ait sur le Théâtre, où l'Histoire soit plus conservée et plus falsifiée tout ensemble ». (Examen de Pompée)

Cette phrase issues de l'Examen de Pompée inclus dans l'édition de 1660 permet d'aborder la question du rapport à l'histoire de Corneille. Question importante, beaucoup de commentaires sur l'auteur insistent sur cet aspect de ses oeuvres. le rapport fidélité / invention dans l'oeuvre est complexe. A son époque, pour ainsi dire toute la production tragique a recours à des sujets historiques (ou mythologiques, ou s'inspirant d'une histoire mythique ). Mais dans toute cette production, Corneille a une attitude différente, qui l'a opposée à un certain nombre de théoriciens du théâtre de son temps. La conception de l'époque permettait de larges accommodements avec les faits connus, ils étaient non seulement tolérés, mais considérés comme indispensables. Et ils s'appuient sur une source à l'autorité incontestable, Aristote.
« ...le rôle du poète est de dire non pas ce qui a eu lieu réellement, mais ce qui pourrait avoir lieu dans l'ordre du vraisemblable et du nécessaire […..] la poésie est plus philosophique et plus noble que l'histoire : la poésie traite plutôt du général, l'histoire du particulier. Le « général », c'est le type de chose qu'un certain type d'homme fait ou dit vraisemblablement ou nécessairement.»

La poésie (le théâtre était considéré comme de la poésie à l'époque) est supérieure à l'histoire, et peut donc la transformer. Corneille dans la préface de Polyeucte a parlé d' « ingénieuse tissure des fictions avec la vérité ». Mais Corneille diffère parce qu'il va chercher dans l'histoire des événements extraordinaires, qui ne sont pas jugés vraisemblables par ses contemporains. La caution historique (tel événement a vraiment eu lieu) permet de le rendre crédible aux yeux du spectateur, qui sans cela risquerait de ne pas adhérer au contenu de la pièce, ce qui permet à Corneille d'outrepasser le vraisemblable et le nécessaire. Sa fidélité à certains fait historiques lui a été reprochée à son époque, au nom de la bienséance, de la vraisemblance. de même on a reproché à ses personnages historiques d'être trop proches, trop fidèles, à leur époque. On jugeait ses Romains vraiment tels que Rome les a connus. Or les théoriciens de l'époque, voulaient qu'ils se rapprochent des hommes du XVIIe siècle, par les moeurs, les coutumes, la façon d'être, pour que le spectateur y croit davantage.

Mais Corneille n'est pas fidèle d'une façon pointilleuse à l'histoire, il invente, modifie. Il expérimente d'ailleurs, ce n'est pas la même formule dans toutes les pièces. Mais ce qui est important, c'est « l'action principale », et on peut modifier le reste, les détails. Il rajoute par exemple des personnages féminins (il faut une histoire d'amour à toute tragédie) comme Emilie dans Cinna. Ces inventions permettent au lecteur de rentrer dans le récit, d'y prendre du plaisir (premier objectif d'une pièce) et d'une certaine façon permettent de faire passer l'esprit de l'histoire, au prix d'une entorse avec la lettre. Il y a quelque chose de la recherche d'un universel derrière tel ou tel personnage historique, qui s'accommode de quelques modifications sur des détails liés à une époque, et quelques embellissements pouvant rendre le récit plus plaisant aux hommes de son temps. Cette capacité à capter un universel, est sans doute ce qui a permis à son théâtre de traverser les siècles, en disant sans doute des choses différentes, mais ayant un sens, à des spectateurs et lecteurs d'une époque autres que la sienne.

Pour en revenir à Pompée, Corneille s'est appuyé sur de nombreuses sources historiques, et tout particulièrement Lucain et Plutarque. le sujet a donné lieu à plusieurs pièces avant lui, et il en connaissait sans doute certaines. La pièce paraît à un moment historique sensible, le cardinal de Richelieu meurt en 1642, la pièce a donc sans doute été écrite après sa mort. Certains exégètes ont donc voulu y voir une attaque contre le cardinal. Il semble très difficile de trancher, et à la limite, ce n'est pas forcément très important, l'essentiel étant à mon sens la pièce elle-même, sa consistance et charge dramatique.

Nous sommes en l'an -48, Pompée vient d'être défait à la bataille de Pharsale par Jules César, il veut se réfugier en Egypte. La pièce commence à ce moment. Les conseillers de Ptolomée, roi d'Egypte, lui proposent de tuer Pompée, pour s'attirer les faveurs du nouveau maître. Ptolomée les écoute. Pompée est invitée à terre, et assassiné. Un serviteur fidèle brûle comme il le peut son corps. L'intrigue est compliquée par Cléopâtre, qui lutte avec Ptolomée pour le trône. Elle est contre la mort de Pompée, et elle a déjà une intrigue amoureuse avec Jules César. César montre de l'indignation à la vue de la tête de Pompée qu'on lui présente, il l'a fait remettre à la veuve, Cornélie, pour une cérémonie funéraire plus digne que la précédente. Ptolomée, inquiet, envisage un coup de force contre les Romains, et le meurtre de Jules César. L'intrigue est dénoncée par Cornélie, et les Romains sont vainqueurs, Ptolomée meurt courageusement, et Cléopâtre peut s'emparer du trône et vivre son amour avec Jules César. Cornélie part continuer la lutte.

Une pièce très puissante. le tout début, avec la description des restes de la bataille, des cadavres, des horreurs, des morts, est saisissant. Tout comme la mort de Pompée. le personnage de Jules César, tout en ambiguïtés, entre opportunisme politique, et une vertu affichée, est étonnant. Ptolomée, cauteleux, voulant mener double jeu, et facile à manipuler pour ses conseillers, est aussi un personnage intéressant. Cléopâtre, bien moins vénéneuse et sensuelle que ce que l'on attendrait, en paraît presque pâle, les aspects les plus potentiellement choquants ont été soigneusement édulcorés ou passés sous silence, elle est au final une bonne reine vertueuse, qui veut sauver Pompée, puis son frère, et qui aime véritablement Jules César. Elle introduit une galanterie un peu fade dans une pièce par ailleurs d'une grande violence et cruauté. Mais cela demeure fort.
Commenter  J’apprécie          140



Ont apprécié cette critique (11)voir plus




{* *}