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EAN : 978B09SWRQ67H
564 pages
Éditions La Dondaine (18/02/2022)
5/5   1 notes
Résumé :
This novel was very long in its process of getting up into some kind of life. It is impossible to enter the story if you do not set your mind on France a little bit in the background in 1982, represented here by a Jewish woman, Rachel Duthoit from Croix who is the daughter of a couple of Auschwitz survivors, the father Abel Duthoit telling his daughter how the victim of some torture can easily become in a different situation the torturer of someone who has become th... >Voir plus
Citations et extraits (2) Ajouter une citation
PROLOGUE

Le soleil se lève, derrière ses nuages, son brouillard nocturne et matinal mêlé, et il jette un rayon rapide entre ses deux paupières humides. Il frappe à une croisée qui réagit mollement, puis il pénètre dans une petite salle de séjour sombre.
"Tic tac! Tic tac!" va la pendulette comtoise sur la cheminée, engourdie dans sa laque noire et ses fioritures dorées. Un chat ronronne, solitaire, sur le fauteuil, un chat de gouttière gris et zébré comme un vieux chiffon strié et mal lavé, sur un fauteuil dont le grenat ancien cède le pas à un blanchâtre en pointillés aux endroits d'usure entourés d'auréoles de patine des doigts mille fois promenés à l'étoffe, cercle diffus d'un cerne sombre d'avoir trop veillé à la vie, veillé à l'envie.
Et la table à peine rutile d'un éclat émoussé et le pauvre rayon de soleil égaré fuit dans la cuisine tout aussi peu aguichante d'une maison dont la chaleur humaine monte d'un désordre persistant qui s'entrecroise à une mise en ordre erratique. On a bien essuyé la table, mais les assiettes sont empilées sur l'évier. Les deux Saint Paulia et le bégonia de la fenêtre explosent de couleur et de vie, et leurs soucoupes regorgent de l'eau de leur soif dûment surveillée, mais deux ou trois fleurs fanées auraient dû être coupées depuis bientôt deux ou trois jours.
Au loin, oh pas bien loin, deux ou trois maisons, un merle siffle, et beaucoup plus loin, un coq s'égosille à réveiller sa clientèle de poules paresseuses.
Septembre s'installe enfin en cette terre de Croix après un mois d'août moite et sans éclat. Chaque jour de ce mois d'août, elle s'est levée tard et est allée à l'université préparer ses cours, ceux qu'elle va enseigner cette année, bien loin de chez elle, à l'Université de Californie. Elle est agrégée d'anglais et elle a obtenu un poste de professeur assistant de littérature anglaise à cette Université de Californie à Davis, le campus spécialisé dans les matières agricoles, agraires et vétérinaires. Elle prend ses fonctions le quinze septembre. On est aujourd'hui le 2 et elle doit partir en avion pour sa destination on ne peut plus lointaine. C'est la première fois qu'elle va aux USA. Elle a beaucoup peur de ce pays, et de ces gens, les Américains. Elle a beaucoup étudié leur culture et leur histoire. Mais elle ne les comprend pas. Elle comprend peut-être les noirs, car elle est une femme, et elle s'imagine qu'être noir là bas ne doit pas être beaucoup plus vexatoire et ridicule que d'être femme ici, du moins une femme seule qui vit avec sa seule mère, étudie et travaille comme une intellectuelle de haute volée, ou de haute voltige. Pensez-donc! Un doctorat de troisième cycle sur Walt Whitman, le poète du 19° siècle. Et maintenant un doctorat d'état sur Invisible Man de Ralph Ellison, un noir pur et dur s'il en est un dans cette littérature d'aujourd'hui, enfin de l'après guerre. Oh certes, elle démarrait juste, mais elle comptait sur son séjour d'un an pour avancer. Inutile de dire qu'elle était la cible de ricanements ou de sourires de ses chers collègues. Tous! Ceux avec qui elle avait baisé souriaient avec beaucoup de tendresse, trop de tendresse. C'était comme une insulte. Surtout qu'une fois, au mieux deux, leur avaient suffi. Ils ne revenaient jamais. Elle avait comme une puissance qui les dépassait. Elle prenait trop vite la barre et elle les menait trop vite trop loin. L'amour était pour elle comme une aventure tropicale, chaude et humide, mais jamais répétée deux fois, comme une chasse de quelque fauve qu'il fallait abattre et jamais la mise à mort d'un quelconque éléphant ne ressemble à la précédente ni à la suivante. Il fallait changer. Evoluer, Inventer des voies nouvelles, des tendresses inattendues, des explorations sensuelles inprogrammables. Alors, la baise tendre, souple, tranquille, routinière même d'un prof moyen la lassait vite. Et plutôt que de faire cent fois la même chose, elle préférait faire cent fois quelque chose de différent en changeant l'outil. L'homme n'était plus que cet outil d'un plaisir passager qu'elle se donnait, n'osant même pas le prendre. C'est comme si elle rencontrait un beau fruit et que sans même y porter la main, elle le sentait descendre à sa gorge assoiffée et déjà allumer un feu secret et vital dans son être profond. Elle se donnait des sensations, mais ne les prenaient pas. Lassant pour l'homme macho moyen qui hante les classes de nos écoles et qui fait l'amour comme d'autres se brossent les dents ou se curent le nez. Alors, elle n'avait pas la moindre envie d'entretenir une relation suivie avec quelqu'un dont la suite est toujours pareille à du déjà vu, du déjà sucé, du déjà consommé.
Et les autres étaient jaloux de cette audace, et ils le montraient par quelque ricanement provocateur, ou bien encore ils avaient peur de ce continent inconnu comme ils avaient peur de leurs chers élèves noirs ou arabes, trop sombres pour être clairs. Et elle travaillait sur un noir, c'est tout dire. Un quelconque indien encore, passe. Ils ont tant souffert, mais c'est quand même mieux qu'ils soient peu. Mais un noir, un noir bien noir, tout ce qu'il y a de plus noir. S'ils avaient su l'anglais ils auraient fait un mauvais jeu de mot sur les goûts « kinky » de cette fille avaleuse de vie, « kinky » comme crépu et noir, ou « kinky » comme marginal et pervers. « A kinky black girl with kinky tastes for kinky sex. » Une fille noire crêpue avec des goûts bizarres pour la sexualité extrême, lui dirait une machine à traduire sans âme.
Bref rien de bien amusant pour une fille qui croyait voir le soleil percer sans cesse le ciel gris de cette région du Nord. Alors, vive le changement! Et cette fois, elle allait en prendre pour son argent. C'était ça, sa jeunesse. Car elle était encore jeune, malgré tous ses travaux et les quelques rides d'intellectuelles qui rayaient ses tempes dégarnies.
Journaliste de théâtre ou de littérature, d'opéra ou de ballet, écrivain pour les petits ou les grands, en radio ou en presse, en livres ou même en images, scientifique bardée de diplômes, même si ses collègues universitaires riaient un peu à cette folle hirsute qui touchait à tout, disaient-ils, mais ne finissaient vraiment rien. C'est que pour eux ouvrir des portes ne sert à rien si on n'installe pas aussitôt quelque garde fou pour empêcher l'intellectuel moyen de tomber. Et c'est bien qu'elle oubliait volontairement le plus souvent de les installer ces garde fou, ces barrières muselières et laisses à chien tout à la fois, ces barricades qui bouchent la vue au-delà de la porte ouverte. Elle aimait le grand vent et elle ne tirait jamais les volets de ces portes cochères qu'elle faisait sauter pour contempler les hautes cimes de quelques montagnes inconnues. Et elle était même enseignante dans un petit lycée technique assez minable et sans grande ambition. En d'autres termes, elle survivait et même jouissait de cette survie suractive assez souvent, quand une relâche intellectuelle s'installait et lui permettait de voir venir sans rien faire plutôt que de courir en avant sans avoir le temps de regarder en arrière les faces éberluées des témoins de sa percée permanente à travers quelque béton social qu'elle refusait de respecter, car on ne respecte pas le béton, on le perce, on le dynamite, on le détruit et rien d'autre. Parfois on le coule, mais simplement pour permettre plus tard qu’on le fasse sauter, et pas sur vos genoux, Mademoiselle.
Voilà le panorama ce matin-là.
Un réveil retentit à l'étage. Deux chocs sourds ébranlèrent la charpente.
"Vite! Lève-toi! Rachel! Il est huit heures! Tu vas manquer ton avion!" dit une voix de femme grisonnante aux accents éraillés.
Et ma voix va se taire. L'histoire va prendre corps. L'histoire de Rachel Duthoit ce 2 septembre 1982. Elle a vingt-huit ans, mais qu'importe. Qu'importe qu'elle soit agrégée, docteur, communiste – cela devenait déjà difficile –, qu'elle écrive dans la presse des chroniques souvent littéraires mais pas toujours, car elle aime le théâtre, le ballet, l'opéra, et bien d'autres choses, et qu'elle se commette assez souvent à la poésie et à la littérature. Elle a bien des projets d'œuvres à publier plus que publiées. Mais elle a une notoriété dans cette région, car elle est une femme de radio. Radio Quinquin, c'est tout dire.
Rachel Duthoit, fille d'Abel Duthoit et d'Ezraël Duthoit née Silberman. Son père est mort en 1956 juste après Budapest, jurant ses grands dieux – bien qu'on eût pu penser qu'il n'en avait qu'un – que le monde allait à sa perte. Elle avait deux ans et elle ne s'en souvient pas. Mais on le lui a si souvent dit, raconté, rappelé, récité, parfois même en musique, la musique d'un vaste chant des morts qui n'en finit pas de se dérouler à la voûte sombre de la vie. Elle a toujours vécu avec sa mère, bien qu'elle ait eu pendant deux ans une chambre à Lille. Mais sa mère ignorait ce détail. On ne peut pas toujours tout savoir, n'est-ce pas ? Mais elle vient de mettre un terme à la location. Elle part ce matin pour New York. Alors... !
Et ma voix va se taire, car maintenant est venue l'heure de rendre à Rachel Duthoit son autonomie, sa propre vie. Il est huit heures. Elle se lève. Son avion est à dix heures à Lesquin. Elle doit changer à Paris. Mais laissez-moi vous dire, avant qu'il ne soit trop tard, un dernier détail de cette vie que vous allez découvrir. Rachel, comme Ezraël et comme Abel, est juive.
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EXTRAIT -- PROLOGUE

Le soleil se lève, derrière ses nuages, son brouillard nocturne et matinal mêlé, et il jette un rayon rapide entre ses deux paupières humides. Il frappe à une croisée qui réagit mollement, puis il pénètre dans une petite salle de séjour sombre.
"Tic tac! Tic tac!" va la pendulette comtoise sur la cheminée, engourdie dans sa laque noire et ses fioritures dorées. Un chat ronronne, solitaire, sur le fauteuil, un chat de gouttière gris et zébré comme un vieux chiffon strié et mal lavé, sur un fauteuil dont le grenat ancien cède le pas à un blanchâtre en pointillés aux endroits d'usure entourés d'auréoles de patine des doigts mille fois promenés à l'étoffe, cercle diffus d'un cerne sombre d'avoir trop veillé à la vie, veillé à l'envie.
Et la table à peine rutile d'un éclat émoussé et le pauvre rayon de soleil égaré fuit dans la cuisine tout aussi peu aguichante d'une maison dont la chaleur humaine monte d'un désordre persistant qui s'entrecroise à une mise en ordre erratique. On a bien essuyé la table, mais les assiettes sont empilées sur l'évier. Les deux Saint Paulia et le bégonia de la fenêtre explosent de couleur et de vie, et leurs soucoupes regorgent de l'eau de leur soif dûment surveillée, mais deux ou trois fleurs fanées auraient dû être coupées depuis bientôt deux ou trois jours.
Au loin, oh pas bien loin, deux ou trois maisons, un merle siffle, et beaucoup plus loin, un coq s'égosille à réveiller sa clientèle de poules paresseuses.
Septembre s'installe enfin en cette terre de Croix après un mois d'août moite et sans éclat. Chaque jour de ce mois d'août, elle s'est levée tard et est allée à l'université préparer ses cours, ceux qu'elle va enseigner cette année, bien loin de chez elle, à l'Université de Californie. Elle est agrégée d'anglais et elle a obtenu un poste de professeur assistant de littérature anglaise à cette Université de Californie à Davis, le campus spécialisé dans les matières agricoles, agraires et vétérinaires. Elle prend ses fonctions le quinze septembre. On est aujourd'hui le 2 et elle doit partir en avion pour sa destination on ne peut plus lointaine. C'est la première fois qu'elle va aux USA. Elle a beaucoup peur de ce pays, et de ces gens, les Américains. Elle a beaucoup étudié leur culture et leur histoire. Mais elle ne les comprend pas. Elle comprend peut-être les noirs, car elle est une femme, et elle s'imagine qu'être noir là bas ne doit pas être beaucoup plus vexatoire et ridicule que d'être femme ici, du moins une femme seule qui vit avec sa seule mère, étudie et travaille comme une intellectuelle de haute volée, ou de haute voltige. Pensez-donc! Un doctorat de troisième cycle sur Walt Whitman, le poète du 19° siècle. Et maintenant un doctorat d'état sur Invisible Man de Ralph Ellison, un noir pur et dur s'il en est un dans cette littérature d'aujourd'hui, enfin de l'après guerre. Oh certes, elle démarrait juste, mais elle comptait sur son séjour d'un an pour avancer. Inutile de dire qu'elle était la cible de ricanements ou de sourires de ses chers collègues. Tous! Ceux avec qui elle avait baisé souriaient avec beaucoup de tendresse, trop de tendresse. C'était comme une insulte. Surtout qu'une fois, au mieux deux, leur avaient suffi. Ils ne revenaient jamais. Elle avait comme une puissance qui les dépassait. Elle prenait trop vite la barre et elle les menait trop vite trop loin. L'amour était pour elle comme une aventure tropicale, chaude et humide, mais jamais répétée deux fois, comme une chasse de quelque fauve qu'il fallait abattre et jamais la mise à mort d'un quelconque éléphant ne ressemble à la précédente ni à la suivante. Il fallait changer. Evoluer, Inventer des voies nouvelles, des tendresses inattendues, des explorations sensuelles inprogrammables. Alors, la baise tendre, souple, tranquille, routinière même d'un prof moyen la lassait vite. Et plutôt que de faire cent fois la même chose, elle préférait faire cent fois quelque chose de différent en changeant l'outil. L'homme n'était plus que cet outil d'un plaisir passager qu'elle se donnait, n'osant même pas le prendre. C'est comme si elle rencontrait un beau fruit et que sans même y porter la main, elle le sentait descendre à sa gorge assoiffée et déjà allumer un feu secret et vital dans son être profond. Elle se donnait des sensations, mais ne les prenaient pas. Lassant pour l'homme macho moyen qui hante les classes de nos écoles et qui fait l'amour comme d'autres se brossent les dents ou se curent le nez. Alors, elle n'avait pas la moindre envie d'entretenir une relation suivie avec quelqu'un dont la suite est toujours pareille à du déjà vu, du déjà sucé, du déjà consommé. [...]
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