Sur la toundra, les fleurs forment de grands tapis jaunes, rouges et violets, qui commencent juste à roussir. Les baies foisonnent, j'en fais grande provision. C'était un délice, l'autre jour, que de pouvoir les tremper dans le sang de phoque encore chaud. Ça change des oiseaux à la chair fine et aux os craquants.
La lune brille comme deux couteaux de femme assemblés, tranchants sur les bords.
Durant ma longue nuit d'Inuit, j'ai appris que le pouvoir est quelque chose de silencieux. Quelque chose que l'on reçoit et qui - comme les chants, les enfants - nous traverse. Et qu'on doit ensuite laisser courir.
"Chant du vent et de l'orage"
Nous sommes l'été
Nous sommes le Nord et le Sud
Nous sommes les vents violents
Qui soulèvent la terre et l'eau
Nous sommes la chaleur et la fièvre
Nous sommes l'air vibrant dans la lumière
Nous sommes le sang qui coule
Dans tes veines et sous ta peau
Nous sommes les esprits puissants
Dans des corps encore débiles
Que personne à part toi
Ne sent ne palpe,
Ni ne voit
Notre présence va tout emporter
Tout bouleverser
Nous allons briser les pierres
Transformer ta chair
Faire de toi un chemin
D'étoiles et de poussière
Tu seras toi-même
Et plus que toi-même
Tu ne t'appartiendras pas
Ton temps dépassera l'horizon
Tu sauras voyager en deçà
Et au-delà
Pour nourrir
Et pour guérir
Tu pourras aussi faire souffrir
Les liens ne pourront rien contre toi
Tu seras fluide et sensible
Aux choses qui échappent
Et qui écrasent parfois
Parmi tous tes esprits
Nous sommes les plus puissants
Nous sommes le Nord et le Sud
Nous sommes les vents violents
Qui soulevons la terre et l'eau
Nous sommes la chaleur et la fièvre
Nous sommes l'air vibrant dans la lumière
Nous sommes le sang qui coule
Dans tes veines et sous ta peau.
Qu’il est donc difficile d’être seule – sans père, sans époux, sans famille. Sans raison de vivre, finalement.
Aya aya ! La nuit est tombée
Nous avons marché
La banquise s'est brisée
Aya aya ! J'avais une fille
L'eau a ouvert sa bouche
Pour me l'enlever
Elle est seule
Avec une dent d'ours
Et quelques chiens
Je n'entends plus ses pas
Je ne vois pas son chemin...
J'ai une famille, une fille qui marche, qui parle et qui vit. Je pourrais vivre tranquille. Mais dès que je suis seule,la peur revient, toujours forte, et ne me quitte pas. Je redoute les esprits maléfiques qui pourraient s'en prendre à moi.
Tu es déjà quelqu'un d'étrange, à mi-chemin entre l'homme et la femme, l'orpheline et le chasseur, l'ours et l'hermine. ...Qui sait ce que tu peux encore devenir ?
Au-dessus de moi, la lune est claire comme une aurore. La lune brille comme deux couteaux de femme assemblées, tranchants sur les bords. Tout autour court un vaste troupeau d'étoiles.
Ma seule chance de survivre est de rejoindre un bout de terre, une de ces montagnes au loin. En espérant qu'aucune faille ne m'en empêche, et que la lune reste présente assez longtemps pour éclairer mon chemin. Je dois marcher tant qu'elle sera là, sans me retourner.