Mais qu’est-ce que tu racontes là, Paniotis ! s’exclama Angeliki. Que tes enfants ont émigré à cause du divorce de leurs parents ? Mon ami, j’ai peur que tu ne te croies un peu trop important. Les enfants partent ou restent selon leurs ambitions : leur vie leur appartient. Je ne sais comment en sommes venus à nous convaincre qu’au moindre mot de travers nous les marquons à vie alors que, évidemment, c’est ridicule, et, de toute façon, pourquoi leur vie devrait-elle être parfaite ? C’est notre propre idée de perfection qui nous tourmente, et elle s’enracine dans nos désirs.
"J'appelle ça résumer les choses", dit-elle avec un caquètement rauque et joyeux. Dès qu'elle se lançait dans un nouveau projet, très vite elle se retrouvait à le résumer. souvent, un mot suffisait : "tension", par exemple, ou "belle-mère" même si, à strictement parler, ce dernier comptait deux mots. Aussitôt résumé, le projet était mort à ses yeux, purement et simplement, une cible facile et, dès lors, elle ne pouvait plus continuer à travailler dessus. Pourquoi se donner la peine d'écrire une longue et belle pièce sur la jalousie si "jalousie" la résumait tout aussi bien ?
Je repondis que, au contraire, j'en étais venue à croire de plus en plus aux vertus de la passivité, et de moins en moins au volontarisme. Avec des efforts, tout pouvait arriver ou presque, mais ces mêmes efforts - se semblait-il - signalaient la plupart du temps qu'on allait à contre-courant, qu'on forçait les évènements à prendre une direction qu'ils n'auraient pas empruntée naturellement, et même si l'on pouvait argumenter qu'on ne ferait jamais rien si on n'allait pas un peu contre la nature, j'avais en abomination - pour le dire brutalement - l'artificialité de cette vision et de ses conséquences. Il existait une grande différence, dis-je, entre ce que je voulais et ce que, apparemment, je pouvais avoir, en attendant de me réconcilier avec cette vérité, j'avais décidé de ne rien vouloir du tout.