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Critique de Soukiang


A partir du troisième meurtres présentant des faisceaux probants et indubitables d'indices, fortes présomptions aidants et idoines, l'évocation du tueur en série peut alors être lâchée dans la nature pour saisir l'ampleur et l'enjeu qui est en train de se mettre en branle, pour l'équipe du commissaire Dell'Orso, inutile de penser aux prochaines vacances, un long voyage les attend, les limbes de l'enfer déploient ses tentacules pour un cauchemar qui ne fait que ... commencer !

Les apparences sont souvent trompeuses, la première impression est la bonne, se fier à son instinct, a-t-on coutume de dire, que se cache-t-il derrière un sourire de façade, une tenue vestimentaire donne alors des indices dans la personnalité de celle qui la porte, quand vous entrez dans une maison ou un bureau, tout est dans les détails, au premier regard, on doit pouvoir avancer un semblant ou un début de piste pour ergoter ou définir l'occupant, qu'il soit ordonné ou bordélique, le sentiment de se sentir alors sur la bonne voie pour s'adapter, échanger, créer et avancer. Ou pas.

"C'est Docteur Jekyll et Myster Hyde", à l'énonciation de ce célèbre roman de Robert Louis Stevenson (L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde), on parle aujourd'hui de personnalité bipolaire, quand l'adjectif aliéné ou l'expression "bon pour l'asile" sont démodés ou péjoratif, la maladie mentale continue de fasciner, dérouter, à la simple entente ou lecture de ces mots dérangeants, des frissons vous parcourent le corps et les terminaisons nerveuses aussi, quand on ne s'attend pas ou appréhende des réactions imprévisibles, Clivage n'est pas le premier ni ne sera le dernier roman à évoquer un tueur en série déstabilisant et violent dans la forme, un bon argument de vente pour attirer tous les lecteurs de thrillers et polars, pour avoir lu tous les classiques du genre et notamment celui par qui tout a commencé, le silence des agneaux de Thomas Harris qui fera ensuite des émules dans tous les pays, force est de constater que le sujet, s'il est épuisé ou presque, suscite toujours des curiosités et des envies d'explorer toujours plus loin la frontière de la folie, des mystères du cerveau humain, jusqu'où et quand, l'imagination des auteurs fait le reste alors est-ce que Clivage est arrivé à tirer son épingle du jeu ? Qu'est-ce qu'il peut apporter dans le fond d'autres innombrables clones du genre ?

J'ai fait la connaissance de l'auteur lors d'un salon du livre en 2017 pour la sortie de Pardon, son deuxième roman après Les 7 stigmates, c'est pourtant un an plus tard à l'occasion de ce même salon que j'ai de nouveau croisé sa route pour cette nouvelle enquête de son personnage fétiche, le commissaire Giovanni Dell'Orso, dans Clivage.
Evidemment, j'étais confus par l'aveu que je n'avais pas pris le temps de lire ses deux premiers livres, l'auteur, Jean Dardi, m'a alors rassuré en me disant que je pouvais tout à fait commencer par Clivage, tant pis pour constater de visu la progression du style d'écriture, l'évolution des personnages, le but est d'arriver à prendre son pied rapidement et par le biais de piqûre de rappel, je me suis vite immergé dans cet univers noir d'une équipe d'enquêteurs de choc affiliée au fameux 36 Quai des Orfèvres, réaliste et contemporain car personne n'ignore que ce haut lieu et célèbre de la police judiciaire française a fait l'objet d'un déménagement depuis 2017 (sauf l'antigang affecté à la Brigade de recherche et d'intervention, en charge notamment de la lutte contre le terrorisme et qui est demeuré dans les vétustes locaux).

Le style est vif, précis comme le scalpel servant à disséquer les cadavres à la morgue (autre terme désuet, Institut médico-légal désormais), l'alternance des points de vue des enquêteurs, des témoins et surtout ce tueur autour duquel il sera vite identifié par le lecteur, pour autant et c'est la différence avec le thriller, il est question d'un véritable polar avec tous les ingrédients que l'on est en droit d'attendre, procédures, récolte d'indices, interrogatoires du voisinage et de la sphère personnelle des victimes puis du présumé coupable, tout le piment de l'exercice ne consistant alors plus de savoir qui se cache derrière celui que l'on va considérer comme un tueur en série mais de participer à un véritable jeu de pistes du chat et de la souris, un rythme qui va prendre un tempo effréné jusqu'à la fin, rien ne vous sera épargné, tant dans la description des scènes sordides et du déchaînement bestial qui en a résulté, dans la tension grandissante et de la pression des hautes instances judiciaires et politiques, pour l'enquêteur en chef et ses acolytes, le compte à rebours a commencé et chaque jour sera l'opportunité de se rapprocher un peu plus de l'arrestation afin de stopper l'hémorragie et les effluves de sang se répandant exponentiellement dans la Capitale, démoralisant et dénaturant tout le paysage urbain et ses attraits touristiques.

La galerie de personnages vaut son pesant de cacahuètes, l'auteur ne se contente pas de les affliger de qualités et de défauts, de secouer le tout dans une boule à neige et advienne qui pourra, la certitude qu'il se passera toujours quelque chose dans cette investigation criminelle compliquée, comme chercher une aiguille dans Paris et ses millions d'habitants, vous l'avez compris, les crimes qui se succèdent crescendo ont pour dénominateur de se dérouler à Paris y compris celui qui va être le théâtre et l'origine du déclencheur, du passage à l'acte, le terminus deviendra rapidement le début d'une cavalcade meurtrière et sanguinaire, l'histoire prend alors des allures de croisière qui va sillonner à travers tout le pays, après les préliminaires, Clivage évoluera dans une phase frénétique, accélération des battements de coeur, impasse et rouerie improbable, fausses pistes et faux semblants, ce qui m'a agréablement surpris c'est la capacité de l'auteur à rendre le tout sans tomber dans le cliché, jamais dans l'à-peu près, ce qui reste ici une fiction peut être le reflet de l'authenticité d'un journal de bord d'un enquêteur hors-norme, au seuil de la crise de nerfs mais pour Dell'Orso, cette traque impitoyable est paradoxalement sa raison d'être, son maître énergie, son leitmotiv à continuer à faire ce métier dangereux, l'adrénaline qui culmine et monte à la tête, les parades et les manipulations pour arriver à ses fins, pour comprendre un meurtrier, il faut commencer d'abord par dominer ses propres velléités, éprouver de l'empathie sans toutefois les accepter ou les pardonner, nuances, le soutien de ses subordonnés, cette touche légère et décalée apporte un petit plus pour éviter de faire de Clivage un roman encore plus noir que noir.

Ces instants de solitude et de temps suspendu avant d'espérer voir sauter un écrou, un rouage qui déflorera exponentiellement la personnalité ambivalente et perverse d'un tueur, ce vrai roman policier démontre une qualité importante pour continuer à lire, l'humanité de ses personnages, sous toute la lumière et ses zones d'ombre, analyser et comprendre avant de juger, réfléchir avant d'agir tête foncée, aspiration dans les veines pour en extraire la quintessence, l'aura, le poids du passé, la connaissance à trouver la faille, la fameuse épine dorsale, si atypique et retors qu'il soit, si vous allez faire la rencontre de charmantes bestioles digne de l'abécédaire du parfait entomologiste, lire un polar c'est un exercice délicat et dans l'équilibre des forces en présence, se laisser emporter par la vague de terreur et de violence cutanée, le poil qui se hérisse, la chaleur qui remplace le froid sépulcral, cette sensation unique qui fait augmenter le taux d'endorphine cher à tous les joggers du dimanche, l'auteur ne joue pas avec des pincettes mais bien avec nos peurs primales, les nerfs seront mis à rude contribution pour suivre les traces de toute l'équipe de Dell'Orso, entre nostalgie des temps anciens liés à l'évolution du temps qui passe, dans l'imbroglio de vies sentimentales dissolues, dans cette fièvre aphteuse imprégnant chacun, l'attente pourra paraître indolente mais rien n'est le fruit du hasard, les détails ne sont jamais superflus, le récit prend, le lecteur souffre avec, le coeur bat la chamade, comprendre les raisons de la colère et de la vengeance qui peut faire basculer le destin de dizaine de personnes, Clivage prouve que les meilleurs romans policiers ne sont pas l'apanage des anglo-saxons, il y a du savoir-faire, la narration est maîtrisée pour embrayer, freiner ou rebondir le récit, un équilibre subtil et déterminant pour aboutir à un dénouement qui en surprendra plus d'un, tout reste à l'état pur et léthargique dans l'apparence du combat entre le bien et le mal, cette limite qui différencie et trompe, pour le meilleur et le pire.

Le titre éponyme du roman, les personnages crédibles pour creuser en profondeur les déchirures, un suspense qui allie et s'imbrique parfaitement dans une machiavélique mise en abîme du tueur en série, pénétrer les arcanes d'un esprit pervers et ambigu, autant d'arguments en faveur d'un polar qui oppresse le lecteur, une ambiance noire où les secrets tapissent au creux des sentinelles agitées, le crime profite-t-il à celui qui le commet ou n'est-ce que le début d'un engrenage terrifiant qui ne pourra prendre fin qu'avec la chute et l'arrestation du meurtrier, comme un orfèvre dans la construction implacable de son oeuvre, l'auteur prend le temps de décrire toutes les ruptures qui peuvent percuter les pensées, dans cette absolue dérive des temps modernes, dans un monde toujours épris de vitesse et de vicissitudes qui animent le quotidien, Clivage prouve que la vie tient à un fil, dérisoire au regard de l'amplitude des mouvements et des rancoeurs qui sommeillent en chacun de nous, la poésie occupe souvent une place particulière dans le coeur des personnes, il n'en reste pas moins, entre deux chapitres, de percevoir qu'il existe toujours un brin d'espoir pour retrouver la paix de l'âme, la force constructive pour trouver la voie de la rédemption, le pardon a encore de beaux jours devant lui.

Publié chez Editions Terra Nova du groupe City Editions, ce troisième roman de Jean DARDI Auteur, est passionnant, suffisamment addictif pour avaler les 400 pages, autant d'heures de plaisir de lecture d'un polar qui fait la part belle aux personnages, une intrigue au cordeau pour saisir toutes les composantes d'une enquête irrespirable, si les notes d'humour ne manque pas pour dénoter une rupture de ton dans la progression du récit, toute l'essence du mal transpire dans les pages pour s'oublier, oser franchir les territoires de la folie humaine et de ses altérations dans le monde des vivants, je vous invite à découvrir cet univers qui propose toutes les inclinaisons du noir, vous êtes prévenus !

Clivage de Jean Dardi Auteur, un polar haletant et magistral !!!
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