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Critique de BeforeBook


Le journaliste à Sud-Ouest Olivier Darrioumerle a publié son second roman après La rue des silences. Ce petit ovni qu'est Bienvenue à Veganland déroute, fascine, inquiète. Il nous interroge surtout sur la société dans laquelle nous souhaitons vivre et léguer à nos enfants. Une société purifiée à l'excès, aseptisée par tous ses pores, pasteurisée jusqu'à atteindre le stade ultime de l'insipidité, est-elle vraiment souhaitable ?

De quoi ça parle ?

Couverture blanche et vert criard, poing brandi à la mode révolutionnaire, titre concis et efficace. Sur les rayonnages des librairies, ce livre détonne parmi la profusion d'ouvrages disponibles en cette rentrée littéraire. C'est cette plastique parfaitement pensée et marketée qui a attiré mon attention. La mention « dystopie », en haut à droite, a fini de me convaincre de repartir avec ce drôle d'objet sous le bras. Allais-je retrouver l'esprit et la patte des maîtres du genre, de George Orwell à Aldous Huxley en passant par Ray Bradbury, chez cet Olivier Darrioumerle ? En préambule, petit rappel de ce qu'est une dystopie. Ce terme désigne un récit de fiction dans lequel un futur a priori idéal, utopique, purifié de toute imperfection, vire au cauchemar et au despotisme.

Ce Bienvenue à Veganlandest une dystopie faisant écho à l'actualité récente, parfaitement ancrée dans son époque. Son cadre est la cité fictive et futuriste d'Océania, une cité où tout le monde est vegan, sportif, sain d'esprit et de corps. Les récalcitrants, c'est-à-dire ceux consommant encore de la viande, sont excommuniés, relégués dans des réserves en périphérie d'Océania. Ils sont les pestiférés de l'époque, les sanguinaires assassins de ces nouveaux êtres sacrés que sont devenus les animaux. Océania est composée d'éco-citoyens menant une vie saine, ascétique, sans aspérités ; ils participent à des marathons, sont notés continuellement par leurs concitoyens grâce à un réseau social omniscient classant et déclassant en un claquement de doigts ; ils sont épiés, dénoncés à la moindre incartade ou pensée jugée impure et potentiellement séditieuse. L'homéostasie, sorte de milice, traque les déviants et combat l'Armée darwinienne, une contre-milice terroriste composée de carnivores.

Voilà pour le décor. Dans ce monde post-apocalyptique, les vegans ont vaincu l'ancien monde et imposé leur système tyrannique. Un système au sein duquel évoluent les deux principaux protagonistes : Green, vegan depuis l'enfance mais descendant d'une lignée d'ancêtres carnivores, pour qui l'existence se résume à tenter d'expier ce péché originel ; Bazarov, un ex-carnivore payant sa dette écologique en remportant marathon sur marathon et qui espère accéder à l'éco-citoyenneté malgré son « sang rouge » …

Mon analyse et mon avis

Voici l'univers dépeint par Olivier Darrioumerle au long d'un peu plus de 250 pages. Avec son écriture sèche, saccadée, aux phrases courtes, l'auteur nous entraîne par son style. le rythme est intense, saisissant. On tourne les pages décontenancés par l'abstraction de cet univers incongru et surnaturel. L'absurde est partout présent, le trait grossi à dessein. En nous dépeignant une société à ce point caricaturale, Olivier Darrioumerle nous avertit : l'enfer est pavé de bonnes intentions. Les idéologies les plus utopistes et progressistes (on pense ici au communisme) n'ont-elles pas toujours débouché sur un pouvoir totalitaire ? Idéologie récemment démocratisée, le veganisme porte en lui des valeurs sur lesquelles tout le monde peut s'accorder. Ainsi, les massacres parfois sadiques des bêtes, dénoncés par l'association L214, ou la surconsommation de protéines animales sont des débats méritant d'être posés sur la table. En revanche, le totalitarisme idéologique charriant pillages de boucheries et l'utilisation d'une rhétorique inadaptée (« génocide animal », « nouvel holocauste », etc.) est contre-productif et dessert une cause originellement vertueuse. C'est ce que l'auteur dénonce en premier lieu. Mais l'analyse ne s'arrête pas à cette unique problématique de la consommation carnée.

Hygiénisme paroxystique, tyrannie du bonheur, culte de la performance physique, surveillance généralisée rendue possible par la technologie, voyeurisme, narcissisme, bourrage de crâne… Les griefs sont nombreux, que l'auteur prend un malin plaisir à caricaturer pour mieux les brocarder. Océania, c'est le monde de la pureté, du blanc immaculé, sans excès ou même écarts. Sans liberté. Sans bonheur. Un esclavagisme moderne, ultra-connecté, les réseaux sociaux régnant en maître. Un manichéisme excluant, les purs face aux impurs, les gagnants contre les perdants.

Je n'ai pu m'empêcher d'établir un parallèle, que j'ignore s'il a été pensé ou non par l'auteur, avec la configuration géographique et sociologique de la France, dont un récent déferlement jaune a montré les failles béantes : d'un côté, les grandes métropoles (Océania), riches, prospères, à l'aise avec les codes du « nouveau monde » ; de l'autre, la périphérie (les réserves) déshéritée, méprisée, moquée, humiliée. Dans Bienvenue à Veganland, les sauvages sont craints, relégués le plus loin possible par des habitants d'Océania soucieux de se prémunir contre une éventuelle révolte. On les méprise autant qu'on en a peur. Peur de leur capacité d'organisation, d'action et de Révolution. Les sauvages du roman luttent pour ne pas mourir, préserver leur mode de vie, défendre leur droit à engloutir de la chair animale. Ils sont les récalcitrants, les « gaulois réfractaires » d'un futur désenchanteur. Un futur digne d'un épisode de Black Mirror, allusion que comprendront les adeptes de la série britannique diffusée par Netflix.

L'objectif d'Olivier Darrioumerle est atteint ! Cette dystopie crée une véritable réflexion sur les dangers de la pensée unique et l'idéologisme autoritaire. Un puissant écho aux soubresauts que connaît notre pays et une invitation à la tolérance, au dialogue, au respect. Un livre idéal pour réconcilier vegans et carnivores !
Lien : https://bfbook.wordpress.com..
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