Je me demande ce qu'elle fout là, d'ailleurs, Fanny dans toute cette histoire, avec nous. Comment elle en est venue à s'occuper de lui, à l'aimer en fait. Je pense à notre drôle d'attelage tous les trois. La lesbienne, le vieux tox et la petite dame. Mais tout est normal à Sainte-Anne, toujours.
(p 163)
Je ne plaide pas je raconte. Je raconte ce qu'ils veulent entendre. Le bon garçon. Le bon lycée. La bonne famille. Même la proc ne demande que du sursis. Ça mouille pour la bourgeoisie, un juge. C'est comme ça que j'ai connu Agnès. En défendant son fils. Bien sûr il est sorti. Un bourgeois, ça ne fait pas de taule.
( p11 )
On m’appelle maître, pas madame. Je fais un métier d’homme où on porte une robe. Il y a même une sorte de cravate bien phallique qu’on appelle un rabat et que je tripote pendant les audiences. D’habitude les femmes portent mal la robe. Elles sont trop petites. Moi pas. Et puis c’est beau le noir. Avec le blanc du rabat ça fait grand d’Espagne. J’ai même droit au rang d’hermine à l’épitoge. En vrai c’est du lapin. Mais ça fait riche quand même. C’est un boulot qui me va. Personne ne voit mes jeans crades sous ma robe, personne ne se demande où je suis quand je ne suis pas au cabinet, personne ne me conteste quand je plaide, personne ne surveille ce que je fais, ce que je pense, ce que je raconte. J’aime les coupables, les pédophiles, les voleurs, les violeurs, les braqueurs, les assassins. Ce sont les innocents et le victimes que je ne sais pas défendre. C’est pas qu’ils soient coupables qui me fascine, c’est de voir à quel point ça peut être minable un homme. Minable en silence. Minable sans broncher. Il faut un courage spécial pour tomber.
Le summum de la connerie, pour lui, ce sont les gens qui vous demandent comment vous allez. Ça va ? Tu vas bien ? Qu’est-ce qu’on peut répondre d’intelligent à une question pareille ?
Ca aurait été plus simple avec un homme. On se serait embrassés, on aurait couché ensemble, on aurait essayé. D'une façon ou d'une autre on aurait su à quoi s'en tenir. Il n'y aurait pas eu tous ces mois à se sourire et à ne pas oser. C'est plus facile avec eux. On leur envoie des signes et on leur laisse le soin du geste. On leur laisse la question du courage. Je ne sais pas quand j'ai compris que ce serait à moi de m'y coller. Ca me faisait peur. Ca me plaisait aussi. J'aimais bien l'idée d'être le garçon de l'histoire.
C'est quelque chose de très con le fric. Y a qu'à demander aux pauvres. Ils le savent, eux, que c'est con le fric. Quand on bosse pas, on n'en a pas. Il n'y a que les petits-bourgeois pour croire que quand on a son nom dans le dico on a des sicavs. Ou une famille qui filerait des coups de main. Les familles sont comme ça, ça les rassure qu'il y en ait qui tombent, ça les renforce, elles s'en nourrissent.
Je suis riche et elle est pauvre. C’est pour ça que je vais gagner. C’est obligatoire. Les riches gagnent toujours. Et les pauvres crèvent toujours. Ce n’est pas ma faute (…) On n’a besoin de rien quand on est riche. C’est une question de honte qu’on n’a jamais. Les pauvres ont bien raison de nous haïr.
J'ai été voir le pédo-psy. Une petite blonde au fin fond du seizième. Elle m'a demandé si j'aimais mon fils. J'ai regardé son sac Lancel rouge et sa montre Hermès à double bracelet et je me suis dit que ce n'était pas la peine de lui répondre.
[...] nous sommes des gens qui allons très mal. Voilà, on est nés comme ça. Du coup, on est forcés d'essayer des trucs pour essayer d'aller mieux. D'être juif ou homo ou camé par exemple. Parfois ça marche un peu. Parfois pas. De toute façon, il faut bien faire quelque chose avec le manque et l'absence.
Je ne veux rien savoir du chagrin, de l’amour, de l’ennui, je ne veux rien savoir de ces choses-là, de tout ce fatras ordinaire et abscons. Je ne veux croire qu’aux gestes, qu’aux messages que m’envoie Agnès et au silence d’Albert. Je prends ce qui est là. Je n’ai plus de pitié.