Citations sur Le Bureau des jardins et des étangs (101)
Sur un pont et dans la brume, précisa Nagusa. Le fait est que c'est une impression olfactive qui n'a jamais été composée. Et je n'ai pas la moindre idée de ce à quoi cela pourrait ressembler. Je n'ai plus l'âge des brouillards : quand la brume se lève, moi je vais me coucher ; et il y a fort longtemps que je n'ai pas couru avec une jeune fille.
Nagusa savait donc mieux que personne qu'il n'existait à ce jour aucune traduction embaumée de l'image d'une demoiselle des brumes franchissant un pont en dos d'âne.
La plus infaillible des certitudes est précaire, inconstante, douloureuse. Ce qui parait encore vrai ce matin sous la pluie sera un mensonge lorsque le nuage sera passé. Ce que je crois c'est que l'âme - ce que vous appelez l'âme - ne saute pas d'un corps dans un autre : elle est intimement chevillée à la créature qu'elle a animée, de sorte que l'extinction de la chair entraîne nécessairement celle de l'esprit qui lui est associé.
Des larmes noyaient son regard. À la façon des lentes glissées d'eau qui préludent aux inondations, et contre lesquelles on ne peut déjà plus rien, les pleurs de Miyuki envahissaient peu à peu tout son être, sa peau pleurait, son ventre pleurait, le creux de ses reins, la paume de ses mains.
Éditions Stock - page 237
Bordé de banquettes herbues où poussaient des renoncules, serpentant entre un double paravent de cerisiers sauvages, de plaqueminiers, de roseaux et de pins bleus ,le chemin menant au territoire de pêche de Katsuro semblait de prime abord une promenade des plus agréables.
Je n'ai pas de réponse, jeune dame. Sans doute pourrais-je vous proposer des hypothèses, voire des espérances, mais rien qui soit certain. Car la plus infaillible des certitudes est précaie, inconstante, douteuse. Ce qui paraît encore vrai ce matin sous la pluie sera peut-être un mensonge lorsque le nuage sera passé. Ce que je crois, c'est que l'âme, ce que vous appelez l'âme, , ne saute pas d'un corps dans un autre : elle est intimement chevillée à la créature qu'elle a animée, de sorte que l'extinction de la chair entraîne nécessairement celle de l'esprit qui lui est associé.
(…) le directeur du Bureau des Jardins et des Étangs se pencha par-dessus le parapet peint en rouge, (…) Il observa les pauvres gens qui, sur les berges étriquées, s’agitaient et brassaient l’air sans raison apparente. Une nuée d’éphémères, une grappe de moucherons étourdis pensa Nagusa, se demandant s’il n’allait pas s’en inspirer pour composer quelque tanka (1), histoire de passer le temps (…)
1 – Ancêtres des haïkus, les poèmes appelés tanka constituèrent au Japon à l’époque Heian une des formes les plus élevées de l’expression littéraire au point que seuls les membres de la cour impériale pouvaient la pratiquer ; toute personne de rang inférieure surprise en train de compose un tanka était passible de la peine de mort.
La cloche de bronze du temple se mit à sonner, émettant une vibration si dense qu’elle fendillait la mince pellicule de glace qui avait commencé à figer l’étang sacré.
Elle attendit qu’il ait disparu. Les dieux avaient créé le néant pour persuader les hommes de le combler. Ce n’était pas la présence qui régulait le monde, qui le comblait : c’était le vide, l’absence, le désempli, la disparition. Tout était rien. Le malentendu venait de ce que, depuis le début on croyait que, vivre, c’était avoir prise sur quelque chose, or il n’en était rien, l’univers était aussi désincarné, subtil et impalpable, que le sillage d’une demoiselle d’entre deux brumes dans le rêve d’un empereur.
Un monde flottant.
-Crois-tu , Atsuhito ? Moi, je pense qu'il n'y a rien qui donne davantage l'idée du désenchantement qu'un oiseau aux ailes froides et rigides.
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