Portrait du poète en dandy : la quête de l'écriture
«Parce que la vie, on sait ce qu'elle vaut, on sait ce qu'elle fait, on sait où elle va. Mais on ne sait pas ce qu'elle dit. Elle n'est pas très bavarde, la gironde. Les écrivains, ils essaient de lui délier la langue. ils tentent. Ils s'usent. Ils s'acharnent. Ils ne vont même pas y arriver» (Du temps qu'on existait –
Marien DEFALVARD).
Marien DEFALVARD, dont on découvre les goûts dans ce premier livre, rivalise, lui, avec son
narrateur. D'un enterrement à l'autre, un jeune garçon, toujours entre deux maisons – deux tombes ? - traîne son existence contemplative, affectionne la mélancolie des stations
balnéaires et avance des noms de lieux : Coucy-le-Château, Sacierges, Bouloire - avec quelque chose de proustien, qui peut agacer mais retient l'attention.
Ne serait-ce qu'une valse-hésitation, une espèce d'éducation sentimentale homosexuelle,
finement ciselée et bruissante d'ellipses?
Marien DEFALVARD estime que ce n'est pas si simple.
DEFALVARD, immense pupille fixée sur un monde, sur une vie d'homme, sauve de l'oubli
quelques dates, quelques souvenirs, ne nous livre pas un roman mais, au contraire, la matrice de tous ses romans (à venir ?). Ce faisant il confirme que toute grande oeuvre romanesque est, ne peut être que réactionnaire, en lutte perpétuelle contre le temps qui
dévore tout.
Marien DEFALVARD risque t-il le vertige du vide lorsqu'il devra avancer son deuxième pion ?
Cet écrivain va-t-il mal tourner ? Il va avoir vingt ans. Que pouvons nous lui souhaiter ?
« Tous les grands écrivains tournent mal » (Entretien avec
Edouard LIMONOV –
Le Point 17 novembre 2011)
-----------------------
Un inconnu plongé dans le marais germano-pratin, lycéen âgé de 19 ans, des résultats du bac, des performances d'athlétisme, l'adresse d'une famille à Orléans.
Avec son narrateur, personnage aux couleurs changeantes, comme change la vie ; gris adolescent, jaune jeunesse, enfin mauve déception. Tout finit à l'imparfait, bien sûr. Non pas, qui étais-je, mais, où étais je?
Le parcours du «héros», qui n'est pas un jeune homme moderne, traverse ou habite des villes où il tente de forcer les portes avec la clef de l'écriture.
Notre marcheur gracquien arpente de plates cartes géographiques tout en évoquant Paris, la seule ville absente du parcours, par une irrésistible ode au Monopoly.
La vie de ce jeune dandy-routard s'est arrêtée pour des raisons immobilières : une maison de famille vendue, des espérances envolées et un monde enchanté qui finit. Chaque phrase
célèbre le passé, la nostalgie d'une époque révolue et d'une France mythifiée.
Vieillir, il le faut bien. Aux côtés d'une mère «fanée comme un beau lis». Avec cette migraine persistante, cette impression récurrente d'avoir déjà vécu les moments présents. Les longues plaines d'ennui, luxuriantes par le vocabulaire, transforment le roman en un long poème existentiel qui déroule son paysage sous nos yeux écarquillés.
Le temps enfui infuse, de plus en plus faiblement, le temps présent, vide et gris, de l'écriture comprise comme absence de vie réelle. Mot après mot, s'édifie la vie reconquise, celle qui brille au travers des mots.
Et le livre de se refermer comme il s'est ouvert, par un enterrement.
Tout grand roman est une reprise des choses fugaces, des êtres qui périssent. Afin d'assurer sa survie après sa propre mort pour dialoguer avec ceux ont été comme lui, un homme ou une femme.
Marien DEFALVARD est souvent tenté par cette langue qui s'enroule pour épuiser le sujet et le dévorer. Tout puissant, il apporte une réponse originale à la question esthétique : comment raconter la légende ?
Ce premier roman, mélancolique et chagrin, manque sans doute de sang et de nerf. Les figures sont des statues. Aucun être vivant, sauf ce chien jaune qui hante les pages, animal psychopompe.
Ce premier non-roman dessine les contours du véritable roman à venir : «ce qu'était Lyon en 41, 42, et ce qu'y faisait mon père. J'aimerais peindre la fresque tragique et obscure, un grand tableau goyesque, les nazis en plus, mais je ne suis pas bon pour cela, les ambiances de terreur, la Milice, mon père qui embrassait une Allemande, la ville occupée [...]»
Après ce tour de chauffe, il reste à
Marien DEFALVARD à écrire un véritable roman.
Peut être en contemplant la prunelle torve de ce chien jaune, pourra-t-il descendre encore plus profond, avant la grande remontée.