La vraie grandeur consiste à être maître de soi-même.
Mon île était alors peuplée, je me croyais très riche en sujets ; et il me vint et je fis souvent l'agréable réflexion que je ressemblais à un roi. Premièrement, tout le pays était ma propriété absolue, de sorte que j'avais un droit indubitable de domination ; secondement, mon peuple était complètement soumis. J'étais souverain seigneur et législateur ; tous me devaient la vie et tous étaient prêts à mourir pour moi si besoin était. Chose surtout remarquable ! je n'avais que trois sujets et ils étaient de trois religions différentes : mon serviteur Vendredi était protestant, son père était idolâtre et cannibale, et l'Espagnol était papiste. Toutefois, soit dit en passant, j'accordai la liberté de conscience dans toute l'étendue de mes Etats.
Oh ! quelles absurdes résolutions prend un homme quand il est possédé de la peur ! Elle lui ôte l'usage des moyens de salut que lui offre la raison.
La crainte du danger est dix mille fois plus effrayante que le danger lui-même, et nous trouvons le poids de l'anxiété plus lourd de beaucoup que le mal que nous redoutons.
En un mot la nature et l'expérience m'apprirent, après mûre réflexion, que toutes les bonnes choses de l'univers ne sont bonnes pour nous que suivant l'usage que nous en faisons, et qu'on n'en jouit qu'autant qu'on s'en sert ou qu'on les amasse pour les donner aux autres, et pas plus.
Il en résultait ce témoignage indubitable, que, dans le monde, il n'est point de condition si misérable où il n'y ait quelque chose de positif ou de négatif dont on doive être reconnaissant. Que ceci demeure donc comme une leçon tirée de la plus affreuse de toutes les conditions humaines, qu'il est toujours en notre pouvoir de trouver quelques consolations qui peuvent être placées dans notre bilan des biens et des maux au crédit de ce compte.
Mais le mauvais usage de la prospérité est souvent la vraie cause de nos plus grandes adversités.