13 ans que le premier tome est sortis en France.
Toujours la même magie et la même qualité d'écriture de la part de Delaney ; des phrases courtes et percutantes.
Un scénario haletant qui tire avantage du lore développé au fil des volumes. L'univers est travaillé avec minutie et beaucoup d'affrontements passés prennent tout leur sens. En particulier les événements du Tome 3, le Secret de l'Épouvanteur, (qui paraît bien loin à nous autres, lecteurs) qui trouvent un écho particulier.
Mais ce tome me laisse tout de même un goût amer en bouche. Ce fut un plaisir de le lire bien entendue mais de nombreuses grosses ficelles scénaristiques nous tombent dessus une fois arrivé la moitié du tome. La série ne m'avait pas habitué à ça. Delaney c'est l'auteur qui ose faire mourir John Grégory dans le flot d'une bataille sans nous donner le nom de son meurtrier, qui mentionne la vision de son cadavre avant de nous renvoyer au combat. Il fait dans le réalisme cru, pas dans l'héroïsme et la surenchère.
Avant d'approfondir ce que je considère comme décevant, je tiens à noter l'absence d'illustrations dans ce volume. C'est la première fois qu'un tome de l'Épouvanteur n'a pas le droit à une illustration de
David Wyatt par chapitre. La raison ? Je l'ignore, j'ai pourtant tenté quelques recherches sans succès. Il me semble bien que la version anglaise comporte des illustrations, alors pour quelle raison Bayard nous en a privé ?
Passons à l'histoire elle-même.
le personnage de Jenny est toujours aussi attachant et original. Un personnage vif d'esprit, au caractère bien trempé et à la répartie acerbe, voilà qui donne une touche de vitalité qui manquait beaucoup aux protagonistes habituels : que ce soit le taciturne John Grégory, le calme et réfléchi Thomas Ward ou la sombre et mystérieuse Alice Deane. Elle est impertinente, certes, mais cela participe au charme du personnage.
Arrivé à un fragment du livre j'ai réalisé qu'elle me rappelait quelqu'un, que ce soit par sa manière très directe de s'exprimer ou sa continuelle méfiance à l'égard de toutes les sorcières (y compris Grimalkin et Alice) ainsi que l'importance qu'elle accorde à ce qu'il est normale ou non de faire lorsqu'on est Épouvanteur : John Grégory.
Cette fille est la digne héritière de John Grégory par sa mentalité, bien plus que ne l'est Thomas Ward qui semble ne plus se poser de questions quand à ces multiples recours à l'obscur et la nature de ses alliés. Là vient mon premier reproche : Thomas Ward a mûri et changer, c'est évident et assez plaisant. Mais je m'attendais à ce qu'il tire leçon de ce qui lui était arrivé avec Alice. Dans le précédent tome on nous dressait le portrait d'un Thomas Ward meurtri qui s'en voulait de ne pas avoir écouter son maître.
de notre point de vue, lecteurs, c'était grandiose ! Nous qui nous étions naturellement mis du côté du jeune couple lorsque le vieux Grégory mettait en garde Tom contre Alice pour finalement nous prendre la même claque que Tom lors de son volte-face. Je trouvais la mise en abyme délicieuse. Nous aurions dû autant écouter Grégory que n'aurais dû le faire tome.
C'est là qu'intervient le volume dont je fait la critique.
Toute cette mise en scène qui se conclut sur... une idylle amoureuse adolescente entre Tom et Alice ? Aussi simplement et soudainement que ça ? Heureux de voir que Delaney a conscience de cet aspect un peu trop "mielleux" de son récit car il nous dévoile certains passages à travers le point de vue de Jenny... qui exprime à merveille mon exaspération. Je sais bien que c'est ce que réclamait une partie du lectorat de l'Épouvanteur, mais justement... c'est très simpliste. du "fanservice" dans l'Épouvanteur, je n'y aurait jamais cru.
Vous allez me dire qu'il reste un tome, rien n'est fait.
C'est vrai.
Sans doute reste-t-il quelques surprises sous-jacentes donnant du sens à cette union.
Je l'espère.
Mais cela n'explique pas qu'un volume entier de remise en question de la part de Tom soit soudainement éclipsé pour laisser place à son amour pour Alice, surtout lorsque celle-ci à oeuvrer à orchestré sa mort puis sa résurrection quelques heures auparavant et continue de se justifier par des "je n'avais pas le choix ; essaie de me comprendre" qu'elle récite en boucle depuis 14 volumes.
J'apprécie énormément le personnage d'Alice pour son côté versatile, par son destin irrémédiablement funeste et par ses actes, elle donne beaucoup à réfléchir au lecteur et à notre héros. Mais dans ce tome énormément de choses son gâchés ou mal exploité. Peut-être est-ce fait exprès. Peut-être ce personnage nous réserve un retournement de situation finale qui donnera un meilleur goût à ce tome ? À ce soudain « on efface tout et on recommence » ?
Terminons sur le fait que les scènes de batailles sont toujours narrées avec un réalisme très osé pour de la littérature jeunesse. C'est une bonne chose. La traduction est toujours aussi impeccable et toujours réalisé par une seule et même personne :
Marie-Hélène Delval. L'évolution des personnages et de leur mentalité est plus que jamais ressenti par le lecteur. Je ne me suis jamais senti aussi éloigné du Thomas Ward des premiers tomes qui me semblait bien plus vertueux, l'actuel est bien plus "gris" dans ses actes ou ses réflexions et paradoxalement plus craintif et raisonnable dans ses décisions, le début de la sagesse ? Un poil de passivité également, tout le monde le mène un peu par le bout du nez, je l'ai connu plus affirmé notre Tom, c'est peut-être ça qui m'irrite le plus au final.
Vivement la suite que je sois fixé. Ce tome est peut-être plus important qu'il n'y paraît, tout dépend de comment seront exploité les décisions qu'ont pu prendre les personnages dans ce tome. La fin sera-t-elle prévisible ou quelques éléments viendront chamboulés les forces en place que semble avoir définis ce tome ?
J'ai malheureusement très peur à un simple affrontement opposant Tom/Alice/Sliter/le Comté/les sorcières de Pendle face à l'armée des Kobalos. Avec une victoire à la clé et quelques pertes secondaire pour un couple Alice/Tom incapable de cohabiter mais qui continue de s'aimer à distance... avouez que c'est le plus plausible ?
Je dois bien admettre que l'issue qui me satisferait le plus serais une opposition entre une Alice au sommet de ses capacités ayant un objectif finale diamétralement opposé à celui d'un Thomas Ward déterminé à accomplir son devoir au pris de grands sacrifices, comme lui seul sait le faire. Une sorte de conclusion qui nous rappellerai que l'obscure reste l'obscure et qu'il ne faut pas faire confiance aux filles avec des sabots pointus. Une fin douce-amère. C'est ce que mérite une telle histoire.