Maïna

Les loups ne l’avaient pas abandonnée et ils ne l’abandonneraient jamais. Mais elle pourrait toujours, elle-même, rompre leur pacte, cette fabuleuse promesse de fidélité. Elle pourrait toujours fuir, courir, tuer, mourir, parce qu’elle se croyait seule, mais les loups, noirs ou blancs, lumineux ou sombres, seraient quand même là, tout près.

Maïna constata froidement qu’il lui manquait tout pour survivre. Elle se découvrit terriblement vulnérable et songea combien les siens détestaient les longues agonies. La faim, la soif, le froid. Mieux valait mourir brutalement. Sentir la brûlure sauvage d’une pointe de lance, laisser couler le sang tiède et s’écrouler en poussant un dernier grognement.

Lorsque la faim les terrasse et que les caribous se refusent, les Presque Loups se gavent de plantes comme la tripe de roche, ils dévorent la panse pulpeuse du castor, grugent la chair blanche sous l’écorce des arbres ou creusent le sol de leurs doigts meurtris en quête de racines. Cependant, ils ne goûtent jamais à la chair du loup.

Maïna découvrait combien la tribu lui était essentielle. Loin de la meute, les loups solitaires poursuivent un impossible périple. De même, les Presque Loups ont besoin des leurs pour partager les tâches, le savoir-faire, les outils. Pour conduire une harde de caribous jusqu’à l’étranglement d’une rivière où les chances de tuer sont meilleures ou pour abattre un ours et transporter sa lourde carcasse jusqu’au campement. Pour monter les abris, faire naître le feu, réparer les canots, façonner la pierre, trouver la viande avant la nuit. Il y avait tant à accomplir pour survivre. Et pourtant, elle était seule.

Aux premiers sangs, les jeunes filles sont jugées impures. Elles doivent se retirer dans une tente, loin des hommes, manger seules et se recueillir jusqu’à ce que leur sang ne coule plus. Nul homme ne doit entrer en contact avec elles, ni même toucher à ce qu’elles touchent, car les femmes souillées éloignent les bêtes, et les chasseurs contaminés reviennent bredouilles.

La faim abrutissait les autres, elle voilait leur regard et leur tordait les entrailles. S’ils n’avaient pas enfin décidé de quitter ces îles où ils étaient tous nés, les derniers survivants auraient sans doute péri comme les caribous.

Maïna tremblait comme une feuille d’automne. Il n’y avait rien à dire, que la peur à dompter. Même mort, même écorché, l’ours semblait redoutable.

Lorsque deux hommes se disputaient la même femme, le plus rapide ou le plus fort des deux l’enlevait à son père et l’emportait avec lui loin du campement. Au bout d’un temps, il pouvait rejoindre les siens. L’affaire était classée. Cette femme lui appartenait et son adversaire n’avait aucun pouvoir de représailles.

Comme une mère, Tekahera lui avait enseigné tous les gestes importants, sauf ceux de l’amour que les petites filles devinent puis découvrent sous les peaux de caribou où dorment ensemble deux ou trois familles.

Les Presque Loups sont des créatures d’action, songea-t-elle. Leur vie est simple et grave. Ils consacrent toute leur énergie à survivre. La nature et les esprits les éprouvent suffisamment, ils ne se préoccupent pas d’autres choses. Ils tuent pour manger et se couvrir et apprivoisent les esprits, car sans ces derniers, ils sont perdus. C’est tout.