Scélératatouille la sorcière sans fesses
Une histoire de Dominique Demers et Jess Pauwels
Avant, je n'aimais pas les livres tant que ça. Maintenant, c'est différent. Mlle Charlotte dit qu'ouvrir un livre, c'est comme allumer une télévision dans sa tête. Et qu'avec un livre, on n'est jamais seul.
Ses yeux me répondaient. Qu’il serait patient. Qu’il avait peur, lui aussi. Qu’il était prêt à partir sur tous les ruisseaux, les lacs, les rivières et les mers. Avec moi. Sans savoir où ça mènerait. Tant pis, si ça ne menait nulle part.
On ne pouvait s’empêcher d’essayer.
Les grands arbres n’ont pas peur des tempêtes. De la neige, de la pluie, de la grêle. Ils se tiennent droit dans le vent. Hauts et puissants. Leurs longs bras ploient sans craquer. Ils dansent, eux, dans la tourmente. Leurs gestes sont souples. On sent qu’ils sont résistants.
Les grands sapins ne tombent pas. Ils attendent d’être vieux. Secs et usés. Des centaines d’années. Et jusqu’à la fin, ils restent droits.
Alors que les lutins sont cordonniers et les farfadets farceurs, les gnoufs existent pour emmieuter [en italique dans le texte] le monde. Ils réparent les trous dans les nuages, soignent les oiseaux blessés et raccrochent dans le ciel les étoiles tombées.
Les gnoufs naissent sans oreilles. Ils ont seulement deux petits trous pour entendre. Une fois qu'ils ont accompli leur première mission, il leur pousse de jolies oreilles. Des oreilles magiques qui leur permettent d'entendre les mélodies du monde : le bruit du vent qui soupire, de l'herbe qui danse et des arbres qui s'étirent.
Elle imaginait des livres fabuleux, des livres qui font rire, pleurer, frémir, danser, voyager. Qui chatouillent la cervelle, caressent le cœur, titillent l'esprit.
-Aimerais-tu que nous préparions une dictée alors ?
Cette fois Alex n'a pas hésité. Il a répondu :
-Non. Ici tout le monde déteste les dictées. Ca nous énerve. de la part d'Alex, l'affirmation prenait l'allure d'une menace. Il ne se gêne pas pour faire le singe à l'école. La nouvelle maîtresse lui a adressé un sourire enchanté. Ses yeux pétillaient de joie.
-Vraiment ? Ah ! Tant mieux ! Moi aussi.
C'est exactement ce qu'a dit notre nouvelle maîtresse.
Mlle Charlotte n'avait pas classé les livres par sujets ou par ordre alphabétique comme le font toujours les bibliothécaires. Elle les avait réunis par couleur, les rouges ensemble, les verts ailleurs. Léo pensa encore une fois qu'elle n'était peut-être pas une vraie bibliothécaire, avec un diplôme et tout.
« - Ce matin, dit-il, j’ai rencontré un roi. Et hier, un prisonnier enfermé par erreur dans une prison maudite. La semaine dernière, j’ai entendu chanter des sirènes. Je connais un homme prêt à se battre contre des moulins à vent et j’ai déjà assisté à des combats sanglants, à des duels terrifiants, à des massacres hallucinants. Mais j’ai aussi vu des lutins courir dans la forêt à l’aube et j’ai épié des amoureux prêts à mourir l’un pour l’autre. Je sais qu’il existe une mer lointaine hantée par une baleine gigantesque qui a grugé le cœur d’un homme. Je sais également que je ne connais rien encore. Et qu’il ne me suffira sans doute pas d’une vie pour découvrir, en plus de la pluie, des escargots de mer, des hérons et des cormorans, des canards et des cerfs, des étoiles et des lunes, tous les personnages qui ont le pouvoir de vivre dans mon cœur et dans mon esprit. »
- Moi aussi, j'ai perdu ma mère, dit-elle encore. J'avais deux ans... Je ne sais même pas à quoi elle ressemblait. Je n'ai aucun souvenir. La vôtre est partie quand vous étiez juste un peu plus jeune que moi aujourd'hui. Mais j'ai l'impression que vous êtes drapé dans votre malheur comme dans cette écharpe qui devait lui appartenir. Non ? Eh bien... Restez dans votre malheur et continuez de jouer à la Bête si ça vous chante. Moi, ça ne m'impressionne pas.
Il y avait, entre autres, "Cadavre au dessert", un livre d'horreur, "L'Enigme des fraises Tagada", un roman d'aventures et de mystères, "A chacun sa crotte", un documentaire très comique sur les différents excréments ainsi que "Le manuel du farceur", un livre bourré d'idées pour mille tours pendables.
Léo ressentit une curieuse excitation devant tous ces livres. Un peu comme si, soudain, il avait terriblement faim. Sauf qu'au lieu de désirer un gros beignet dégoulinant de chocolat ou un hot dog long comme le bras, il avait très envie de goûter à tous ces livres.
La légende voulait qu'à douze ans il ait accompli un premier exploit. Parti chassé le lièvre en France avec son père, le jeune Oswald s'était retrouvé un peu à l'écart du groupe et un sanglier en avait profité pour charger. Horrifiés, les hommes avaient assisté à la scène. L'enfant n'avait même pas crié. Il avait épaulé son fusil et attendu, avec un sang-froid inouï, que la bête s'approche. Alors, seulement, le bruit sourd d'une détonation avait résonné entre les arbres et le sanglier s'était écroulé à quelques pas de l'enfant.