Le mystère Jérôme Bosch

Tandis que le savant discourait en tournant autour de lui, Petronius s’abîma dans la contemplation des trésors que contenait la pièce. Des lentilles et des lunettes astronomiques étaient alignées sur des étagères. Près de l’échelle menant à l’atelier se trouvaient un alambic et un athanor. Méticuleusement étiquetés, des ossements et des crânes d’animaux de toutes tailles et de toutes sortes étaient exposés dans une vitrine à hauteur d’yeux. Oris vit également, posé sur un lutrin, un herbier ouvert où étaient conservées des plantes exotiques rapportées des Indes. Au pied du meuble était rangée une grande caisse contenant toute une collection de capsules séminales. Dans un coin de la pièce, on avait pendu au plafond des pattes d’animaux séchées ; Petronius reconnut entre autres des membres de chèvre, de vache, de chien et de chat.
Généralement, les peintres sont fiers de leur cabinet de curiosités et le montrent à tout le monde, fit remarquer Oris. Pourquoi celui-ci est-il tenu secret ? — Ce lieu est une porte, une source d’inspiration. (Van Almaengien fit un geste englobant la pièce.) Quand on pénètre dans ce monde, on est prêt à prendre les horreurs visibles sur les tableaux de Bosch pour la réalité. Celui qui arrive par la porte de devant est aveuglé par ses propres pensées et n’aura pas l’esprit pour interpréter correctement les œuvres.

Chapitre 42

(...) le tableau lui-même est une immense énigme, et nous découvrons chaque jour quelque chose de nouveau. (Il tendit le bras vers le poster.) Regardez cette reproduction avec les cordons de couleurs. Au-dessus du volet figurant le jardin « d’Éden, vous pouvez lire par exemple, sur un post-it, des concepts tels que “topique de l’infinitude” et “pensée cyclique”. Ces deux notions sont reliées par un fil rouge à une montagne aux formes étranges, située dans la partie supérieure gauche du tableau. Personne ne sait ce que cela signifie, mais ce mont est percé d’une grotte d’où jaillit une nuée d’oiseaux. L’essaim se faufile en tourbillonnant à travers les ouvertures rondes du rocher ; il semble s’envoler vers l’infini mais, après s’être partagé en deux groupes de couleurs différentes, il revient finalement se poser dans les prairies verdoyantes du paradis. Tandis que les oiseaux clairs s’ébattent dans les champs, les oiseaux sombres se dirigent vers un œuf brisé dans lequel ils disparaissent. De cet œuf part un fil vert, relié aux concepts “œuf cosmique”, “origine” et “symbole alchimique”. Chaque jour, nous découvrons quelque chose d’insoupçonné et de nouvelles énigmes se posent à nous. 

Chapitre 33

Nous nous trouvons dans un paradis d’une richesse éclatante, mais que le péché a envahi peu à peu. Écoutez-moi, Petronius Oris : le mal est partout en ce monde, il se glisse en nous et dévore nos âmes. Voyez-vous la maison qui nous fait face ? Elle appartient à un homme qui a conclu un pacte avec le diable, toute la ville le sait. Il fait le mal. Il est le mal. Et vous travaillez pour lui, Petronius Oris.

Chapitre 27

Le tableau était divisé en trois plans distincts. Dans la partie inférieure, où dominaient des verts tendres, le Christ guidait Ève vers Adam. Au milieu de la composition, où primaient des teintes chaudes de jaune et de vert pâle, s’élevait une fontaine d’abondance, peinte dans la même couleur rouge clair que la tunique du Rédempteur. À l’arrière-plan, dans des tons de bleu, se découpaient sur le ciel d’étranges montagnes rappelant les formes biscornues du disque terrestre sur l’envers des volets. Mais ce décor était trompeur. 

Chapitre 18

L'immortalité, le cycle éternel. Celui qui est immortel n'a besoin d'aucun dieu, Michael. Il devient lui-même Dieu.

Donnez-lui un tableau représentant quelque chose d'inconnu ou de démoniaque, il pense aussitôt que c'est l'oeuvre du diable. Et pourtant, c'est uniquement l'imagination qui guide le pinceau du peintre. Dans la réalité, seule la vie est envahie par le mal, la créativité est innocente, exempte de tout pêché. Cette créativité est infinie, tandis que notre pensée reste enfermée dans les rets de nos erreurs.

La parole de Dieu prime sur celle de l'homme. Mais quand la parole du Seigneur est équivoque, l'homme n'a t-il pas le droit d'utiliser sa raison et son imagination pour l’interpréter?

Ha ! La raison et l'imagination. Un croyant n'a besoin de s'imaginer qu'une seule chose : les splendeurs de l'au-delà. C'est grâce à cette pensée qu'il peut supporter le monde d'ici-bas et ses épreuves.

Si l’âme veut apprendre à se connaître, elle doit regarder au fond d’elle-même - et où doit-elle regarder sinon dans son propre oeil ?

Un esprit simple pourrait prendre ce lieu pour l’antichambre de l’enfer. En revanche, pour une personne maîtresse de son imagination, c’est un paradis. Regardez autour de vous, ces curiosités n’ont qu’un seul but : rendre l’étrangeté de ce monde encore plus mystérieuse. Nous ne réfléchissons que lorsque nous remarquons quelque chose d’inhabituel. Mais ce quelque chose doit être familier sans être repoussant, il doit créer un sentiment de fascination pour attirer notre regard. Ceci fonctionne à merveille lorsque nous prenons des formes que nous connaissons, mais que nous ne contemplons jamais de manière consciente. Voilà ce qu’est l’art, Petronius, l’art véritable : faire naître l’horreur à partir du monde qui nous entoure.

Chapitre 42