La forêt avait changé de visage.
Jo Agopian n’était pas qu’un coéquipier. Il était aussi son ami. Le lieutenant d’origine arménienne, véritable bras droit de Chloé, était également le seul représentant du genre masculin avec lequel elle avait réussi à nouer une relation normale. Il était parvenu à lui faire oublier que c’était un homme qui lui avait pris Sophie. Un tueur de femmes insaisissable, toujours en mouvement, qui frappait au hasard et dont le mobile, selon les psys chargés d’établir son profil, se résumait à un désir aussi profond qu’irrépressible de les anéantir.
un bouddha en uniforme, aussi rond qu'un mandala
Louanne croyait en une société plus juste, une planète plus saine, au fait qu’un autre monde était possible. Un rêve que partageait la Grenobloise mais pour la réalisation duquel elle ne levait pas le petit doigt. Comme la plupart des gens, elle regardait le train foncer dans le mur en continuant d’alimenter la chaudière.
D’après les statistiques, la BC était, avec la BRI et les Stups, la brigade où l’on trouvait le plus grand nombre de flics accros à l’adrénaline. Rien à voir avec les investigations d’un SRPJ lambda comme celui dans lequel pointait le flic de Draguignan.
Ce qu’il restait de la victime n’avait plus rien d’humain. Une « chose », recroquevillée sur le flanc tel un fœtus géant. Poils, cheveux, cils, sourcils… Tout ce qui contenait une once de kératine avait disparu. La peau n’était qu’une enveloppe boursouflée, craquelée, racornie par endroits, dont la couleur évoluait en fonction de la gravité des brûlures. Gris cendré ou noir intense en surface et, lorsqu’elles avaient atteint les couches profondes du derme, rose pâle, orangé, rouge vermillon.
L’ensemble laissait penser à une éruption volcanique dont l’épicentre aurait été le visage. Un visage effacé, labouré, dépourvu de nez, de lèvres, d’oreilles et de paupières. Des traits grotesques, terrifiants, qui évoquaient la face cauchemardesque de Freddy Krueger.
Il connaissait le terrain, avait de l’intuition, des réflexes. Son bon sens à toute épreuve lui permettait souvent de faire mouche. Surtout, il comprenait la violence des dingues qu’il traquait dans ses motivations les plus intimes. Les scories d’une époque où cette fureur le dévorait aussi, comme une blessure qui le grattait encore parfois et lui donnait plusieurs longueurs d’avance.
Après le démantèlement de son unité fin 2012, suite à l’affaire de corruption qui avait défrayé la chronique, la hiérarchie avait redistribué les cartes. Les rescapés du tsunami devant atterrir quelque part, on avait pris en compte leurs aptitudes pour leur attribuer un nouveau poste. Et en matière d’enquêtes, les résultats de Paul crevaient le plafond.