Personne ne la remarque, elle est un fantôme errant dans une ville devenue nécropole.
Tessa perçoit un appel étouffé, sur sa gauche. Elle se tourne, mécaniquement. Une main ensanglantée émerge d’un tas de tôles, de tuiles, et de morceaux de ciment. Deux doigts, l’annulaire et l’auriculaire, s’agitent faiblement. Le majeur et l'index ont disparu, remplacés par de petits moignons couronnés d’une croûte de sang séché, rendue grisâtre par la poussière. Tessa perçoit de nouveau un appel à l’aide, réduit à un souffle. Elle s’approche de ce tumulus artificiel, tombeau anticipé pour la personne qui y gît, prisonnière.
Une tuile après l’autre, parpaing après parpaing, Tessa entreprend de déblayer le monceau de gravats. Son travail est rythmé par la complainte sourde émanant du débris humain coincé sous la pierre, le verre, et l’ardoise. Les deux doigts libres s’agitent lentement, lentement, au son d’une valse silencieuse.
Ses yeux desséchés percevaient un kaléidoscope d’images que son cerveau tentait en vain de déchiffrer. Elle fit un effort conscient pour ordonner à son corps de se remettre en mouvement. Ses poumons s’emplirent d’air, sa poitrine se souleva. Une fois. Deux fois. Chaque souffle lui faisait mal, elle avait l’impression de respirer dans un seau de sable. À la troisième inspiration, son cœur consentit à battre. La douleur fut là encore intolérable, coups de poignard répétés portés sous son sein gauche. Le sang circula de nouveau dans ses veines et artères, générant un fourmillement désagréable à travers tout son corps. Sensation d’insectes rampant dans le secret de ses muscles et l’intimité de ses os.