Elle ramène d'un geste son sari sur sa tête et sa bouche se pince au point de disparaître dans une multitude de rides furieuses. Subhadra ne tente pas de s'excuser davantage. Elle lève les yeux sur ce visage clos et ressent une sorte d'épouvante à l'idée qu'elle se regarde dans un miroir déformant: dans vingt ans seulement, c'est à cela qu'elle ressemblera. Tant d'inutile laideur, tant de rancunes figées sur ce visage !
C'est peut être tout ce que j'ai été jusqu'à présent.Un accessoire dans une autre histoire. Ou bien l'esprit qui les invente sans jamais en faire partie. Il suffit d'être étranger, et l'on est déjà dit. D'ailleurs, à Delhi, comme dans le monde clos d'un livre, tout le monde est étranger. Tous viennent d'ailleurs. Chacun se croit obligé de citer une longue généalogie géographique pour prouver qu'il existe. En fin de compte, ils ne sont jamais d'ici. Le mouvement incessant parle d'une population toujours en partance, jamais arrivée.
Chaque bidonville, chaque mendiant éclopé, chaque enfant paralysé me rappelle que, si dans l'écriture on peut refuser, par peur, d'aller jusqu'au bout de ses mutilations, dans ce monde-ci, cette confrontation est un jour ou l'autre obligatoire.
L'objectif du romancier est de se cacher le mieux possible derrière ses mots. Mais si d'aventure, l'envie lui prend de se révèler, il le fera de telle façon que personne ne reconnaîtra la vérité. Méfiez-vous du mensonge du romancier.