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Critique de Darkcook


Après la lecture hallucinante et hallucinée d'Ubik, chef d'oeuvre de Dick, je voulais enchaîner avec un autre de ses romans, chose qu'en général j'évite, le second dans la foulée subissant toujours la comparaison défavorable avec le précédent. Ça n'a pas manqué ici parce que, tout simplement, on a basculé dans le Dick des années 70, qui entremêle son propre vécu aux histoires de ses romans, quitte à ce que cela accouche d'un objet étrange, qui ne réponde pas forcément à nos attentes. Substance Mort, il y a pas mal d'années, qui date de 1977, m'avait fait exactement le même effet : À la fois roman noir, roman de science-fiction, roman autobiographique sur la drogue, j'avais trouvé le mélange mal dosé et déroutant. Au final, avec les années, Substance Mort m'a laissé un souvenir incroyable (et il a été immortalisé avec brio par le film d'animation A Scanner Darkly de Richard Linklater), c'est un très grand souvenir de lecture. Comme quoi...

Coulez mes larmes, dit le policier conte l'histoire de Jason Taverner, superstar de la TV dans un futur totalitaire et policier. Un soir, alors qu'une de ses innombrables conquêtes qui semble peu équilibrée lui a donné rendez-vous, celle-ci l'attaque avec une éponge cajoleuse de Callisto. Après avoir été transporté à l'hôpital, il se réveille soudain dans un monde parallèle où il n'existe pas. Je trouvais le pitch formidable, me faisant bien sûr penser à nombre de films et de séries de science-fiction traitant de la célébrité ou de réalités alternatives sans tel ou tel personnage (The Truman Show, notamment, certaines saisons de Fringe...). Sauf que le roman va beaucoup moins tourner autour de son passage de méga-star à inconnu total, d'une réflexion sur sa célébrité et son image, qu'autour de sa survie dans ce régime policier où l'identité de tout un chacun est constamment contrôlée et surveillée. Jason Taverner va passer du gars qui avait tous les privilèges et passe-droits, à un clandestin absolu, fugitif, fiché nulle part, anomalie à abattre. Ce n'est pas du tout ce qu'on attend au début du roman. Certes, le statut de star de la TV est tout de même, comme souvent, égratigné par Dick qui montre sa vacuité, mais ce n'est pas très creusé. Les errances de Taverner dans cette réalité parallèle sont aussi décousues, hasardeuses, et assez particulières : En bon womanizer, il va de femme en femme, et on devine rapidement qu'au moins certaines de ses rencontres sont inspirées de la vie de Dick (surtout la psychotique Kathy, la droguée Alys...) et que la confession autobiographique envahit une nouvelle fois un pitch qui semblait formidable mais dont on n'aura pas le déroulement attendu.

On voit le changement qui s'opère progressivement chez Taverner au fil de ses rencontres féminines successives, et on se dit qu'il a finalement compris le message (même si plus aucune allusion n'est faite à sa première maîtresse qui l'aurait faite changer de réalité a priori). En parallèle, Dick nous met dans la peau de personnages policiers traquant Taverner, comme McNulty et Felix Buckman. Les face-à-face Taverner/Buckman m'ont rappelé Crime et Châtiment avec le duo Raskolnikov/Porphyre. Plus on avance, plus on pense au Procès de Kafka, avec Taverner ennemi numéro un d'une administration à la fois autoritaire et arbitraire, autiste, et le parallèle avec la vie de Dick est intéressant. le peu de détails donnés sur cet univers policier contribue à cette ambiance de flou kafkaïen, de brume institutionnelle asphyxiante : On fait référence aux étudiants comme à un peuple souterrain, opprimé, clandestin, secret (avatars du milieu de la contre-culture américaine affectionné par Dick), mais on ne les verra jamais. Les dernières pages du roman consacrées à Félix Buckman sont assez étranges et le roman possède une postface très enrichissante sur la génèse du livre, les liens entre la vie de Dick et certaines scènes comme celle de la station-service... L'on devine aisément, à raison, que Félix Buckman, très proche de sa soeur (sans trop en dire), est lui aussi un double de Philip K. Dick. Au final, le roman amène une explication à ce qui est arrivé à Jason Taverner totalement différente de ce qu'on avait compris à la base, et c'est là aussi que je suis circonspect. Dick semble avoir privilégié la mise en fiction de plusieurs éléments de sa vie des années 70 : Se sentir persécuté par la CIA ou le FBI, la drogue, la paranoïa, sa conviction de réalités parallèles qu'il aurait entrevues... au détriment de l'unité romanesque. L'épilogue est également assez anecdotique, même s'il achève de ridiculiser les personnages les plus superficiels du roman et de célébrer Mary Ann Dominic. En somme, ce roman en tant qu'objet final est assez décevant, et j'ai du mal à me figurer le travail acharné qu'il y a passé (surtout avec, comme toujours, une aridité stylistique frustrante) et des difficultés à imaginer, contrairement à Substance Mort, que mon appréciation se bonifiera avec le temps et le recul. Maurice G. Dantec, que j'ai lu pendant très longtemps, était un fana de Dick, ce qui m'a toujours fasciné mais aussi intrigué, tant à la fois ils se ressemblent, et peuvent être mis aux antipodes absolus (idéologiquement comme stylistiquement). Pourtant, là, j'ai vu chez Dick ce qu'on pouvait reprocher systématiquement à Dantec (pas exactement de la même manière) : Tenir un pitch génial, et s'en éloigner pour des dérives qui lui tiennent peut-être à coeur, mais qui sabordent le résultat final et global. Je vais lire d'autres choses et reviendrai vers lui car je ne suis pas du tout fâché, bien au contraire. Hâte de lire, par exemple, La Vérité avant-dernière...
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