Lily, encore si jeune, commençait à perdre le contrôle, à franchir la frontiére invisible d'une terreur intime que personne n'avait jamais cartographiée.
« Ce qui était loin d'être la première fois, par contre, c'était cette scène, et même si elle ne se rappelait plus ni quand ni comment elle avait commencé, il semblait à présent qu'ils étaient condamnés à la jouer ensemble tous les jours de leur vie, devant se creuser la mémoire pour trouver des griefs inédits, chérissant les plus familiers, nourrissant à l'alcool les pousses déjà indestructibles de leur ressentiment, et aussi à l'inépuisable adrénaline générée par ce qu'elle supposait être (faute d'autre mot à sa portée) l'amour. Apparemment cela n'avait plus d'importance de savoir qui avait commencé à en vouloir à l'autre, ni pourquoi : cela pouvait partir de n'importe quoi. Cela pouvait partir quand ils essayaient de toutes leurs forces de l'empêcher d'arriver, cela pouvait déchirer toutes leurs promesses tacites, pouvait envahir jusqu'à l'astucieux anonymat que constituaient les chambres de motel avec leurs moquettes en tweed, les chambres dans lesquelles ils s'étaient imaginés pouvoir tout recommencer ; des chambres dans lesquelles elle sentait, dès les premières vapeurs du premier verre, qu'Everett était quelqu'un qu'elle ne connaissait pas du tout, quelqu'un pour qui elle pouvait peut-être paraître la femme douée de grâce et de charme qu'elle avait voulu être. »
Il avait toujours eu l'intention de s'occuper d'elle, de la faire rire. Mais à un certain point ils avaient cessé de s'écouter l'un l'autre, et du coup il resta en bas, paralysé non par la colère mais par la lassitude et l'orgueil.