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Citations sur Le peu de monde (suivi de) Je te salue jamais (57)

Passé : deux syllabes sèches.
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PASSE-PARTOUT


J’ouvre les fenêtres de la photo
pour t’aérer. Elle est restée fermée longtemps
comme tant de vieilles saisons de campagne.

Tu es au balcon. Dans ta vieille pose
avantageuse ; debout ; portant l’uniforme terrestre
ajusté, coloré des surfaces ; pour toit de tuiles
le gros blouson gonflé du pin,
rapiécé de morceaux de mer
aux endroits où se déchirent les branches
en jouant avec les grands vents.
Les jardins marée montante
atteignent les poteaux télégraphiques
et aux fils sont pendus des citrons
lampions de fête encore verts.

Comme un drapeau tu descends le soleil.
Tu lèves la tente en écrasant
des fleurs de toile. Impatiemment tu fais tourner
le mouvement comme si le plus rare, c’était l’ombre.
Jusqu’ici la photo reste raisonnable.
Et me voici, apportée par quelle paranoïa
sur l’image ; comme en chirurgie esthétique...

p.175-176
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MONTAGE
Photographie


Tu es la frontière entre deux immensités.
Deux hautes mers affrontées.
Le ciel et l’eau.
La largeur des deux
s’articule sur ton front.
Ton front large
affronte les limites.
Les voiles repliées de ton visage,
sa proue pensive,
montrent que tu attends la tempête
des immensités.

Mais toi tu tiens la barre.
Est-ce un accessoire de caïque
ou de ta vie ?
Est-elle à toi, la barque
ou volée ?
Est-il à toi, le courage
Ou à la photo ?
Conduis-tu ou es-tu conduite ?
Y avait-il une barre dès le début
ou est-ce le montage du photographe
qui a donné une barre
à l’ingouvernable, de même
que nos grands-pères paysans
se retrouvaient cravatés
entre des cadres ?

p.55-56
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Je tiens une fleur, je crois
Bizarre.
On dirait qu’un jour dans ma vie
un jardin est passé.


Dans l’autre main
je tiens une pierre
L’air gracieux, arrogant.
Sans me douter qu’il y a là pour moi
l’annonce d’altérations,
et l’avant-goût de résistances.
On dirait qu’un jour dans ma vie
une ignorance est passée.


Je souris.
La courbe du sourire,
le creux de cette humeur,
semble un arc bien tendu,
fin prêt.
On dirait qu’un jour dans ma vie
une cible est passée.
Une aptitude à la victoire.

Le regard plongé
dans le péché originel :
il goûte au fruit défendu
de l’espoir.
On dirait qu’un jour dans ma vie
une foi est passée.

Mon ombre, simple jeu de soleil.
En uniforme d’hésitation.
Elle n’a pas encore eu le temps
d’être pour moi compagne ou délatrice.
On dirait qu’un jour dans ma vie
une suffisance est passée.

Toi, tu n’apparais pas.
Mais pour qu’il y ait dans le paysage un précipice,
pour que je sois au bord
tenant une fleur
et souriant,
c’est que tu ne vas pas tarder.
On dirait qu’un jour dans ma vie
la vie est passée.
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ODE À UNE LAMPE DE BUREAU

À la mémoire de mon oncle
Panayòtis Kalamariòtis


Vieille lampe de bureau,
œuvre d'un artisan d'Anatolie
plein d'invention, de prévoyance.
Un de mes oncles, un juge, la rapporta de Smyrne
et à sa lumière
se sont unis les lois et les actes des hommes.

Elle en sait long sur les circonstances atténuantes,
les moments de folie, la préméditation.
Tous ces coups dans la poitrine par jalousie,
ces vendettas pour un mur mitoyen,
pour une chèvre broutant chez le voisin.
Elle a connu un tas de bons antécédents,
est tombée amoureuse de coupables.

Pauvre cher oncle,
comment ça se passe avec le nouveau législateur
et ses lois —
la mort n'est pas une matière au programme.
Tu n'as pas plaidé pour ton existence.
Mais la vie fait partie
des causes perdues,
même pour les meilleurs juristes,
dont tu étais.

J'ai reçu la lampe en héritage.
Travaillée avec invention
et surtout prévoyance.

Sa lumière, quand elle vient se placer
comme un autre lecteur fatigué
du même livre que moi
ou comme arbitre entre la page blanche
victorieuse une fois de plus ce soir,
et, vaincu, ce que je voulais écrire,
jaillit d'entre des palmes touffues.
Bon stimulant pour la végétation.
Sous le palmier,
debout, penché, l'air doux, un vieillard.
L'artiste avait talent et expérience :
la lumière et les palmes seules
ne peuvent lutter face aux peurs et au temps.
la solitude craint seulement la personne à côté.

C'est donc bien qu'il soit là, ce vieillard.
Djellaba et turban font de lui un oriental
ainsi que son visage brun décharné.
Son bras tendu, on ne sait
s'il appelle à s'approcher,
s'il exige, ou explique, ou indique ou prédit.
Un artiste peut ramasser tout cela
dans un même geste,
de même que la vie ramasse tout en un passage.
C'est peut-être un muezzin
en train d'expliquer à son dieu
ce qui manque à ce monde.
C'est peut-être un mendiant.
Ou un veilleur de nuit, gardant
la tropicalité au-delà de la lampe.
Peut-être un rhéteur déchu qui fait dans le décoratif,
un ascète,
ou un marcheur qui dans le désert au-delà de la lampe
a trouvé une ombre imprévue.
Qui sait ? Un voyageur
qui a perdu son chemin
mais aussi le sens de son voyage.
Et maintenant, levant le bras, il me demande
quel est le chemin et ce que cela veut dire.
C'est à moi qu'il demande
quel est le chemin et ce que cela veut dire ?

Veilleur de nuit, mendiant,
voyageur ou rhéteur,
mahométan ou apatride,
peu m'importe.
Moi,
quand je vois passer les années,
quand je vois comment va le monde,
je fais de lui un Prophète.
C'est en Prophète que j'ai besoin de lui,
quand je vois se perdre les années,
quand je vois où en est le monde.
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J’AI ACCEPTÉ DE NE PAS SAVOIR
  
  
  
  
Je quitte le monde des mystères
tranquillement.
Jamais de ma vie je n’ai fait de mal à une énigme :
je n’en ai résolu aucune.
Même pas celles qui voulaient mourir
aux côtés de mon enfance :
j’ai dans mon petit tonneau deux petits vins différents.
Je l’ai gardée jusqu’à présent
intacte inexpliquée,
car jusqu’à présent
deux petits vins différents, c’est ce que contient
tout ce qui m’arrive, soluble ou insoluble.
J’ai cohabité rudement
avec un grand moine qui n’a pas d’os
sans jamais lui demander
de quel feu il est le fils,
vers quel dieu il monte et me quitte.

Je n’ai pas réduit le nombre
des êtres masqués du monde,
j’ai nourri le mystère du monde
par sacrifices et privations.
Avec le sang qui m’a été donné
pour l’expliquer.

Ce qui est venu les yeux bandés
avec des intentions cachées
je m’en suis séparée
tel que je l’avais reçu :
Énigme empruntée,
énigme rendue.
J’ai accepté de ne pas savoir
comment se résout un hier,
un ça dépend,
l’énigme des asymptotes.
J’ai accepté de ne pas savoir ce que je touche,
un visage ou un je suis pressé.

Toi je ne t’ai pas non plus tiré dans la lumière
pour mieux te voir.
Je suis restée Pénélope
dans ton incurie obscure.
Et si une fois j’ai demandé comment te résoudre,
et si tu es source ou fontaine,
ce devait être un jour d’été
où, Pénélopes ou non,
s’empare de nous ce démon de l’eau
pour que grâces soient rendues à l’énigme
de ce que nous gardons notre soif.
Je quitte le monde des mystères
tranquillement.
Sans péché :
avec ma soif.

Vers l’énigme de la mort
je m’en vais bravement.


/Traducteur Michel Volkovitch
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Photo 1948


Extrait 2

Le regard plongé
dans le péché originel :
il goûte au fruit défendu
de l'espoir.
On dirait qu'un jour dans ma vie
une foi est passée.

Mon ombre, simple jeu de soleil.
En uniforme d'hésitation.
Elle n'a pas encore eu le temps
d'être pour moi compagne ou délatrice.
On dirait qu'un jour dans ma vie
une suffisance est passée.

Toi, tu n'apparais pas.
Mais pour qu'il y ait dans le paysage un précipice,
pour que je sois au bord
tenant une fleur et souriant,
c'est que tu ne vas pas tarder.
On dirait qu'un jour dans ma vie
la vie est passée.
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Et la voyant ainsi gisante [la cigale]
en tas, sans sépulture ni funérailles, j’ai eu l’idée
de lui lancer un Amen fleuri
avant que le tollé ne la démembre
avant que ne la traînent dans leur garde-manger
quelques crapules de fourmis égoïstes.
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La nuit,
substantif,
genre féminin,
singulier.
Pluriel
les nuits.
Les nuits désormais.
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J’aimerais tant savoir enfanter
de petits poèmes.
...
Un petit poème.
Presque un bébé mais la répartie facile.
Son début, petit nez
un peu retroussé
les mots, yeux fixés sur la condensation
une grimace hermaphrodite aux lèvres
on ne sait s’il rêve ou s’il a faim
– l’imprécis, c’est inné, se crispe.
Ses petits poings à la fin
bien conformés – serrés.
...
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