Citations sur La porte du voyage sans retour (386)
Maram et moi venions de franchir la porte d’un voyage sans retour.
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Je ne croyais pas ces momeries. Mais elles me révélaient que partout où les hommes entendent conserver le pouvoir, ils trouvent toujours des stratagèmes pour inspirer une crainte sacrée à leurs inférieurs.
La religion catholique, dont j’ai failli devenir un serviteur, enseigne que les Nègres sont naturellement esclaves. Toutefois, si les Nègres sont esclaves, je sais parfaitement qu’ils ne le sont pas par décret divin, mais bien parce qu’il convient de le penser pour continuer de les vendre sans remords.
L’année même de son mariage, il avait commencé à calculer le temps vertigineux nécessaire à l'achèvement de son encyclopédie universelle. Prévoyant, selon une « estimation haute », que s'il mourait à soixante-quinze ans, il lui resterait trente-trois ans et que, à raison de quinze heures de travail par jour en moyenne, cela ferait cent quatre-vingt mille six cent soixante-quinze heures de temps utile. Il avait vécu dès lors comme si chaque minute d'attention qu’il accordait à son épouse et à sa fille l'arrachait à un labeur qui n'aboutirait jamais à cause d'elles.
Aglaé s’imaginait que n’étaient pas appréciés dans ce milieu les êtres qui, comme son père, plaçaient l’honnêteté et la justice au-dessus de tout, incapables de transiger sur leurs principes, pas même pour en faire le sacrifice à leurs amis. La politesse, l’urbanité n’étaient pas le fort de Michel Adanson : il aimait ou il n’aimait pas, sans nuances.
(page 33)
Ce pouvoir de percer les mystères de la vie, qu’il avait gagné en se penchant des jours entiers sur ses spécimens, son regard le portait encore quand il le levait vers vous. Il vous sondait de part en part et vos pensées, même les plus secrètes, les plus microscopiques, étaient vues.
(page 16)
Il me semblait au bout de trois années de vie au Sénégal que je devenais nègre dans tous mes goûts. Ce n’était pas simplement dû à la force de l’habitude, comme il aurait été simple de le croire, mais parce que j’oubliais que j’étais blanc à force de parler le wolof. Je ne m’exprimais plus en français depuis plusieurs semaines, et l’effort prolongé qui avait habitué ma langue à prononcer des mots étrangers me paraissait identique à celui qui m’avait entraîné à apprécier des mets et des fruits étranges pour mon palais.
(page 189)
Sa foi dans l’Amour la mettait en colère contre elle-même. Elle était comme ces athées qui craignent de succomber à la tentation de la croyance en Dieu le jour de leur mort. Elle maudissait le dieu Amour sans jamais réussir à le renier tout à fait.
(page 23)
Grâce à l’art, nous arrivons parfois à entrouvrir une porte dérobée donnant sur la part la plus obscure de notre être, aussi noire que le fond d’un cachot. Et, une fois cette porte grande ouverte, les recoins de notre âme sont si bien éclairés par la lumière qu’elle laisse passer, qu’aucun mensonge sur nous- même ne trouve plus la moindre parcelle d’ombre où se réfugier, comme lorsque brille un soleil d’Afrique à son zénith.
Je compris alors que la peinture et la musique ont le pouvoir de nous révéler à nous-même notre humanité secrète.