Le récit que nous livre
David Diop est dense, sa plume affûtée, précise et chargée, dans le bon sens du terme. On ne peut, à mon avis, que lire ce roman lentement, tant il est important de s'imprégner petit à petit de l'atmosphère qu'il décrit si bien. En effet, l'atmosphère est un élément clé de ce roman. Au fur et à mesure de l'histoire, toutes nos certitudes d'occidentaux sont mises à mal et nous voici baignés dans les traditions africaines, les animaux totems, les philtres mystérieux, les esprits bienfaisants ou malveillants, les croyances “irrationnelles” mais également dans une époque où l'esclavage est banalisé et la discrimination entre blancs et noirs bien confortablement installée.
Nous sommes à la fin du 18ème siècle et Michel Adanson, jeune botaniste érudit, s'embarque pour le Sénégal à des fins d'observations naturalistes. Mais ce voyage sera plutôt un bouleversement de ses certitudes et une remise en cause de sa vision du monde.
A son arrivée dans le pays, il se heurte à des supérieurs butés et esclavagistes assumés. Lui, choisit de comprendre le peuple noir, dans ses différences et ses richesses. Il apprend le wolof et se plonge dans la culture de ce peuple qui le fascine.
Au cours d'un périple botanique, il fera la connaissance de Ndiak, un jeune garçon du pays qui deviendra, plus qu'un fidèle compagnon, un véritable ami. Ensemble, ils entendront un chef de village raconter l'histoire de Maram, jeune fille enlevée par des esclavagistes puis contre toute attente, revenue au Sénégal par ses propres moyens. Envoûtés par cette histoire, ils partiront en quête de Maram, à l'autre bout du Sénégal.
Cette quête sera, pour Michel Adanson, la découverte de la triste histoire de Maram et de la passion amoureuse. La fracture entre les civilisations va se matérialiser sous ses yeux au fil des événements.
Les sentiments d'amour qu'il éprouve pour Maram et d'amitié pour Ndiak transcendent les différences culturelles mais sont voués à une fin tragique face au principe de réalité.
De retour en France, il retrouvera ses habitudes d'occidental et validera même, par faiblesse, les habitudes esclavagistes de ses contemporains contre lesquelles il s'insurgeait auparavant. Maram lui apparaîtra ponctuellement, tout au long de sa vie, sous la forme d'une Eurydice qu'il n'aura pas réussi à sauver des enfers.
J'ai aimé me couler dans cette langue douce et me laisser porter dans ce périple africain, oublier mes certitudes d'occidentale et adhérer à des croyances différentes et un peu magiques.
David Diop m'a transportée dans son histoire qui me laisse un sentiment de mélancolie face aux obstacles que les Hommes dressent entre eux, qui les empêchent de communiquer et de s'aimer. La réflexion autour des discriminations, des injustices et de l'esclavage a déjà fait couler beaucoup d'encre, mais
David Diop y a mis du coeur, et cela se sent.
Merci aux éditions du Seuil et à Masse critique pour cette belle découverte.