Voilà un très joli conte qui se déroule entre Sénégal et France au 18ème siècle.
Michel Adanson est un botaniste qui, en 1750, part au Sénégal pour étudier la flore locale. Ce botaniste a réellement existé, et sa fiche Wikipédia nous apprend qu'il était un naturaliste français d'ascendance écossaise, qu'il a exploré des régions peu connues des Européens à l'époque, comme le Sénégal ou les Açores et qu'il fut auteur d'un mémoire célèbre sur le baobab, et qu'enfin il apporta de nombreuses contributions à la zoologie, à la géographie, à l'ethnographie et aux recherches sur l'électricité.
Mais l'histoire qui nous est racontée ici par
David Diop est bien plus romancée. le procédé narratif est un grand flash back grâce auquel on découvrira tout d'abord le personnage à Paris, de retour d'Afrique, pris par une frénésie de travail qui le fait délaisser sa femme et sa fille Aglaé, personnage central de la première partie du récit.
Puis le père meurt et la fille, par fidélité à son père, s'adonne également à la botanique. Ayant hérité des meubles de son père, elle découvre un petit secrétaire ouvragé, contenant un dessin en relief : une fleur d'hibiscus. En appuyant sur cette fleur en relief Aglaé libère un mécanisme révélant un double fond du tiroir, lequel renferme un cahier de grandes feuilles…
C'est le début d'un grand récit que son père Michel adresse à sa fille pour lui expliquer sa tristesse et son désespoir au retour d'un séjour au Sénégal riche en aventures.
Emerveillé par la nature sénégalaise, le botaniste apprend rapidement la langue Wolof pour échanger avec la population locale. Il se lie notamment d'amitié avec le prince Ndiak, qui n'a que douze ans quand commence pour eux deux une aventure qui les conduit à parcourir toute une partie du pays jusqu'à la fameuse Ile de Gorée, bien connu des historiens.
Michel Adanson voyage officiellement pour découvrir la flore locale, et avec le prétexte d'espionner les petits rois locaux pour voir s'ils sont favorables à la concession française implantée sur place. Mais Michel cache un secret qu'il révèlera au cours de son voyage à pied à son ami Ndiak : il a entendu parler de la légende consacrée à la belle Maram, une femme d'une grande beauté, qui aurait été emmenée comme esclave en Amérique, et qui en serait mystérieusement revenue et vivrait sur l'île de Gorée – un retour tout à fait improbable au vu des conditions de l'esclavage de l'époque.
On ne révèlera pas toutes les finesses de l'histoire – on dira juste aux futurs lecteurs qu'il faut qu'il poursuive le récit jusqu'au bout puisque le botaniste découvrira une femme serpent qui pourrait être Maram, dont il tombera éperdument amoureux, mais avec qui il partagera le même supplice qu'Orphée ayant recherché Eurydice aux enfers.
D'enfer il en est bien question, puisque bien sûr
David Diop nous livre au passage quelques très belles pages sur ce scandaleux procédé que les Européens ont pratiqué pendant des années pour s'enrichir. Cette « porte du voyage sans retour » était bien celle qui faisait le lien entre l'île de Gorée, où une multitude de malheureux étaient enfermés en prison, et les bateaux qui partaient pour l'Amérique, d'où personne ne revenait jamais.
Il rendra aussi hommage aux coutumes locales, et à toutes ces croyances animistes que les populations locales adoptaient : une communion entre l'homme et la nature qui nous fait tellement défaut aujourd'hui …
Et si c'étaient eux qui avaient raison ? Ne faudrait-il par parler à un arbre avant de le couper ? Pratiquer un rite avant de tuer le gibier ? Respecter certains animaux, contrairement à ce que fait le botaniste, déchainant la malchance qui va pleuvoir sur lui ? Et qu'en est-il de ce « rab », ce génie que chacun possède, sorte d'ange gardien qui protège celui à qui il est associé, et qui surgit au bon moment ?
Nos esprits rationalistes, forgés à la philosophie de
Descartes, passent peut-être à côté de l'essentiel – c'est peut-être le message caché de
David Diop.
C'est dans tous les cas un récit plein de finesse et de dépaysement, qui nous rappelle que les peuples dit autochtones, qu'on a si souvent méprisés et pillés, sont peut-être plus avancés que ces hommes blancs dont le comportement encore aujourd'hui pose question au pays dit de la liberté – dans celui-ci c'est dans la mort que les deux personnages principaux trouveront enfin l'île qui leur permettra de se rejoindre enfin.