Je les vois bien baisser la tête ou changer de trottoir quand ils me croisent dans la rue. Dans leur esprit, je coche toutes les cases de la violence. Ils ont raison. Si Claire ne m’avait pas tendu de mots pour l’exprimer, il y a longtemps que ma colère aurait atterri dans une vitrine.
Bien sûr que je connais la môme suédoise qui insulte tout ce qui bouge avec sa gueule de fin du monde, c’est juste qu’à l’Eden, on n’est pas nombreux à bouffer bio ou rouler électrique. C’est un truc de riches ça. On recycle, oui si on veut, quand personne n’a foutu le feu aux conteneurs pour se distraire.
Souvent, je lui demandais pourquoi elle travaillait si loin alors qu’un supermarché de la même enseigne, celui de Mister Ferguson, jouxtait l’Eden. « La vie ne fonctionne pas comme ça », répondait-elle avant de se pencher sur moi, de me caresser les cheveux et de chuchoter, « le choix n’existe qu’au-delà des rails. »
Lui, qui était la mesure de toute chose, est devenu la misère de chaque instant.
L'enfance est le terreau de toutes les terreurs, mais aussi de tous les égoïsmes.
Ce corps qui s'était retourné contre vous à mesure que les circonstances s'étaient acharnées contre lui.
Les mirages de l'imagination s'évanouissent d'un coup lorsque le silence les rattrape.
Je ne réponds pas.Je n'ai aucune envie de m'éterniser ici.J'avance un peu plus loin dans la maison à la recherche d'un fauteuil sur lequel abandonner le sac d'Eva. Une grande pièce s'ouvre sur le côté de l'escalier.Un salon immense remplit l'espace d'un bout à l'autre.Dos à la fenêtre, un large canapé turquoise semble ouvrir les bras.Une multitude de coussins en atténue la couleur vive.La table basse accueille un grand livre sur l'architecture américaine de l'encre-deux -guerres,d'après le titre.Une paire de fauteuils dorés répondent au canapé. Je pose le sac d'Eva sur l'un d'entre eux.(Page 119).
Même quand c'est la dernière des connes, la cliente a toujours raison.
Page 29
Je l’ai maudite, ma mère. Tout de suite, comme un coup de foudre, quand l’autre a chialé en lisant la lettre qu’elle avait laissé dans la cuisine. Je l’ai maudite de le faire pleurer lui et de me voler les larmes que j’avalais pour que Lauren ne se noie pas dans tout ce chagrin. Je l’ai maudite pour l’enfance qui a pris fin ce jour là, l’adolescence de merde qu’elle hypothéquait et que je dois désormais affronter seul, et le reste d’une vie cerné de vide et d’inquiétude. Je l’ai maudite comme je la maudirais aujourd’hui si elle se tenait devant moi ; si elle se moquait gentiment de ce qui m’arrive ; si elle souriait avec douceur en murmurant qu’il faut être bien naïf pour tomber amoureux d’une ombre , si elle me caressait les cheveux et me rappelait que j’ai 17 ans et qu’à 17 ans on guérit de tout ; si elle me disait que je ferais mieux d’oublier Eva . Je l’ai maudite, tout de suite, parce que je savais qu’elle me manquerait lorsque j’aurais besoin d’elle.