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Critique de GODON


GODON
20 décembre 2016
Avec «La Douce», Dostoïevski nous livre une étude grattée jusqu'au sang, un huis-clos étouffant où la question «Pourquoi?» devient un cri de désespoir.
D'entrée, le décor planté est déchirant : Un homme veille la femme qu'il aimait et qui vient de se suicider. Pourquoi? Suit un soliloque où l'introspection est poussée à la limite. Deux écrivains ont su créer des personnages dont on a l'impression qu'ils existent et qu'ils ont une vraie conscience : Shakespeare et Dostoïevski. Je suis d'ailleurs persuadé que Dostoïevski a voulu souvent dans ses romans challenger Shakespeare, ici c'est le thème de la mort d'Ophélie qui est questionné : Pourquoi!
Les personnages : Un usurier encore bel homme, se marie à une très jeune femme et la sauve de la misère. Malgré une certaine bonne volonté de part et d'autre, rien n'y fera, ils ne pourront absolument ni se comprendre, ni s'aimer… Pourquoi? On voudrait envisager les causes classiques : Différence sociale, différence d'opinions, de préjugés, cela semble jouer mais rapidement Dostoïevski nous embarque dans un monologue de l'usurier qui repasse le film de sa vie avec elle. Il se rappelle toutes ses impressions, toutes ses réflexions pendant leur vie commune. Alors se dessine dans son point aveugle, les souvenirs où elle avait un comportement qui paraissait étrange, mais où en fait se révélait la vérité, la vraie cause : Une différence de caractères, une différence radicale. Ils ne pouvaient réussir l'impossible, sonder l'insondable différence de l'Autre, et c'est là que leur amour a fait naufrage.
Lui : Constamment il analyse ses faits et gestes et a tout faux parce qu'il projette sur elle sans cesse son mode de pensée introverti et basé sur le sentiment.
Elle : La différence de caractère entre eux est une évidence et cela la terrifie, elle n'a absolument aucun moyen de concevoir ou de se comporter avec cette différence. La douce est par ailleurs directe et sans compromis, à cent lieues des ratiocinations de son mari.
Ce décalage tragique, n'est-ce pas une démonstration de la réalité de la diversité des caractères humains. A cause de cela, l'amour peut être cette maladie incurable, la conscience peut être ce miroir déformant. N'est-ce pas l'histoire sans cesse recommencée des ratages de l'amour : Je me construis une image illusoire où je ne vois pas les vrais raisons inconscientes qui me font tomber dans la maladie d'amour, pas plus que les vraies raisons conscientes parce que ma conscience est différente de l'autre. de ce système malade, je crois être capable d'aimer et d'être aimé en retour! de plus l'être aimé est dans le même état de confusion! Faut-il s'étonner qu'ensuite vienne la guerre, la destruction.
Dostoïevski met en abime et en question son propre caractère qui peut avoir l'illusion de tout comprendre… La conclusion est que même les plus doués peuvent se tromper lourdement. Dans cette histoire la vérité surgit trop tard : il ne voyait rien d'elle…
Le film de Robert Bresson qui met en scène la nouvelle dans «Une Femme Douce» suggère une dimension métaphysique que l'on peut être tenté de rajouter à cette histoire : Etrangeté de la vie, déréliction, terreur de l'autre. L'actrice Dominique Sanda irradie le mystère de cet amour impossible qui est filmée avec un raffinement génial. Pourtant, au final je reste sur une interprétation plus empirique : Dostoïevski nous livre une démonstration terrible sur l'amour qui doit intégrer la différence de l'autre, sauf s'il n'est qu'illusion et souffrance...
Comment l'Amour est possible? Ce récit poignant ne le dit pas, cela reste subtil et mystérieux, inconnu ou indicible…
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