Des hommes
Ont su mourir
Pour demeurer des hommes
Par-dessus les épaules
De leurs tueurs
Ils voyaient leur maison
Leur femme
Leur moisson
Leur pays d'arbres et de fleuves
Et pour ne pas crier
Ils enfoncaient les ongles
Dans l'azur
Pierre Emmanuel.
L a saison du courage
E au humble jetée sur le printemps
C ourber l'échine, aller contre le vent
O uvrir aux femmes opprimées, piétinées
U ne espérance derrière les fenêtres
R ésister, s'évader, survivre
A imer à corps perdu
G arder les mots en vie
E t puis rire toute une éternité dedans la terre
Rien n’avait résisté…
Rien n’avait résisté ni le fer ni l’acier
Dieu est une arme plus cruelle
que la houe du jardinier
j’aurais voulu me coucher dans la terre une
jarre d’eau fraîche à portée de main mais
où étaient mes mains ?
J’ai recollé ma tête et mes pieds
pour épargner le sable
mais rien ne tenait on avait broyé mes os
Alors j’ai suivi la route des fourmis
mon souffle dans leurs pattes
La colonne avançait en bénissant les nuages
pour trois gouttes d’eau
aucun dieu ne nous a aidés.
Nos pieds allaient vers la mer
loin des arbres à histoires
Nous marchions vers un monde
que nous ne connaissions pas
nos sandales ne comprenaient plus le sable.
La marche m’a forcée
à habiter mon corps
le désert à l’oublier
La mer fut un miracle
je l’ai remerciée de nous porter
plus encore de nous laisser.
Ce que j’ai vu
aucune eau ne pourra l’effacer
aucune source aucune pluie la
mer elle-même a renoncé.
Aujourd’hui je suis là de l’autre côté
avec ma peau d’hier et d’avant-hier
je suis là et je vous regarde grande comme je peux
avec ce poids au bout de mes bras
Des ondes me traversent que je ne comprends pas
ni la force qui me porte
ni le courage qu’elles me donnent
Si je le savais mon cœur s’en irait avec elles.
//Marilyse Leroux
Poèmes d’un rescapé
1965
La tumeur
de mon bras a eu
vingt ans cet été
Mes globules blancs
suffisent à peine
C’est l’été dirait-on
Libellules au ciel
Dans ma tête les enfants
qui ne vieilliront jamais
Lauriers-roses dans la ville
Criant dans les rues je défile
cette année encore
Comme à l’ordinaire
les érables rougissent où
sont les cendres des enfants
Pour le nouvel an
couper une branche de prunier au
cimetière des enfants
Seule chose au monde en
quoi je puis croire cette
pierre que je caresse
// Matsuo Atsuyuki
Les lucioles de ma voix dans les entrepôts de l'instant.
Podium
Dans un pays lointain
les femmes tirent sur leurs nattes
pour remettre les pendules à l’heure.
Elles fouillent l’Histoire.
Une voix leur murmure :
« entre dans une bouche d’homme
vole le mot vainqueur
et rends-le au féminin ».
Alors elles accostent
où bon leur semble
et sauvent des vies
sans autorisation.
/Florentine Rey
Un mal la ronge…
Un mal la ronge
qui est mal fatal
un mal la ronge
peu à peu
la prive
de tout plaisir
de tout désir
malgré quoi
elle lutte
résiste
jour après jour
pied à pied
malgré quoi
obstiné
le mal
lui aussi
poursuit son œuvre
pas à pas
lui aussi
la détruit
la réduit
à peu de chose
à presque rien
Elle se bat pourtant
et luttera encore jusqu’au jour
où
« courage »
à son tour
ne sera plus
que lettre morte.
//François Deblué
Le courage
Dans ces pas en suspens
Dans ces yeux refermés
Dans le corps qui se fend
Dans la voix effacée
Dans la main qui se tend
Dans le pas qui hésite
Dans ces regards fuyants
Dans ces êtres qui t’évitent
Que pourrais-tu attendre
Autour on applaudit
Mais oui on t’encourage
Tu avances on sourit
Tu poursuis le chemin
Tu ne l’as pas choisi
On redoute la pitié
On doute de l’amitié
Certains parlent de courage
En ignorant le coût
On occulte la rage
La colère le dégout
On est loin d’être sage
On voudrait bien en rire
On espère toujours
On regarde la lumière
Et on choisit de vivre
//Sabine Péglion
Comme un courage blessé
[…]
La poésie te fait du bouche-à-bouche
dévore l’air qui te manque
t’en redonne aussitôt
[…]
Force à toi
au murmure
délivre l’eau
l’animal
qui dansent en enfance.
//Paola Pigani
Chaque soir…
Chaque soir revenait l’instant fatidique Il
traînait prenait le pot traînait encore Puis
bandant sa volonté dominant sa peur il se
jetait dans la nuit descendait des marches
ouvrait à tâtons la porte qui grinçait
Il descendait encore La lumière éclairait
à peine la cuve et les tonneaux
Du robinet ne coulait qu’un mince filet de vin
À tout instant pouvait surgir le voleur d’enfant
Dans sa main le pot tremblait
Plus tard il lui a fallu descendre dans une autre cave Il
n’en est remonté qu’après de longues années
/Charles Juliet