Ils sont venus…
Ils sont venus
au clair de lune
au rythme du tam-tam
ce soir-là
comme toujours
l’on dansait
l’on riait
brillant avenir
ils sont venus
civilisation
bibles sous le bras
fusils en mains
les morts se sont entassés
l’on a pleuré
et le tam-tam s’est tu
silence profond comme la mort.
// François Sengat-Kuo (4 août 1931 - septembre 1997)
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens ......
Ils étaient huit jeunes hommes
Ils étaient huit jeunes hommes, nus, nus et qui tremblaient
ils étaient descendus, gelés, enchaînés,
l’un derrière l’autre, nus, les mains dans le dos
et ils savaient pour sûr, ils se savaient condamnés :
le grand camion, au fond, le long de la grande allée,
l’allée des longs cyprès, longs, hauts, est venu s’arrêter,
et les huit jeunes hommes nus, blancs, sans mot sont descendus
entre des hommes verts, vert clair, qui les font se tenir :
se tenir, blancs, nus, devant la grande tombe,
devant le grand trou, long, profond, tout juste creusé,
là tout le long, là, le long de l’allée,
derrière les tombeaux, tout le long, comme une longue tranchée :
par la mitraillette, d’un coup, ils ont tous plongé
dans la longue tranchée, blancs, nus, avec un peu de sang
sur leurs torses blancs, blancs, nus, aux premières aurores :
ils étaient huit jeunes hommes, nus, dépouillés de lendemains.
// Charles Camproux (30/06/1908 – 1994)
Enfance
Colère devant l’enfant sans pain
ni mère qui mange de la terre
dessine des hélicoptères reste
debout dans son sommeil
Colère devant l’enfant au ventre outré
araignée de la misère
qui joue avec la terre
sous un soleil touriste
Colère devant l’enfant courant devant la guerre
jusqu’aux frontières
depuis sept ans sans s’arrêter
s’il ne se couche dans la terre
Colère devant la terre entière
la terre qui est le pain qui
est la joie
la maison et la mort
// Anna Gréki (14/03/1931 - 06/01/1966)
Il tue
extrait 2
Il est le guerrier des tueries inutiles
[…]
Il jouit
de l’odeur du sang
Il est peut-être une mauvaise prière
Il est sans larme
Il ne sait pas la douleur de mourir
Il jouit
de la vengeance
Il se pose sur le rocher de la nuit
Et les ténèbres le réjouissent
Il ne porte pas de médaille d’honneur
Pas plus qu’un cœur blessé
Il n’a pas de foi
Et pourtant il proclame la grandeur de Dieu
Comme une chouette aveugle
Il erre parmi les rochers de la nuit.
// Fawzieh Rahgozar
/ Traduction Leili Anvar
Dans la cheminée des hommes…
À la mémoire de Catinou tué par la guerre
Dans la cheminée des hommes
il a brûlé comme un cierge
sa complainte n’a pas fait
danser longtemps les grandes flammes
Arbre à l’écorce tendre où
le vent mord à pleines dents
Arbre pliant sous le poids d’un oiseau
ses racines n’allaient pas loin
dans le sommeil de la terre
Toute sa vie il l’a vécue
dans l’attente du bûcheron
jamais il n’eut d’autres fruits
que ses fleurs.
// Serge Wellens (11 août 1927 - 31 janvier 2010)
Il tue
extrait 1
Il est le guerrier des tueries inutiles
Il est drogué
de feu
de sang
de mort
Il ne sait pas les caresses
Il ne sait que la mort à donner
Il est le guerrier des chemins déviés
perdus
tortueux
qui se pose sur le rocher de la nuit
Il reste là, assis, et ne songe qu’à tuer
Il jouit
de ses souvenirs ensanglantés
Il est drogué
à l’opium, à… À tout ce qui drogue
Il n’est pas anxieux
Il est vide
vide de lui-même
vide de lumière
…
// Fawzieh Rahgozar
/ Traduction Leili Anvar