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Critique de Erik35


TOUS LES IMPOSSIBLES, N'ÉTAIT L'ÉVANOUISSEMENT.

Comment résumer, sans en trahir le contenu, et les implications et le subtil déroulé cet ouvrage minuscule (surtout par sa brièveté) et majeur à la fois ? Pour en comprendre un tant soit peu le point de départ, se souvenir du célèbre procès Eichmann qui se tint à Jérusalem du 11 avril 1961 au 11décembre de la même année et qui se soldera, chacun s'en souvient, par la condamnation à mort par pendaison de cet ex-SS convaincu de quinze chefs d'accusation dont au moins quatre relevant de "Crimes contre l'Humanité". L'un des meilleurs "résumé" de ce procès fut l'oeuvre, salutaire, de la grande philosophe Hannah Arendt qu'elle intitula Eichmann à Jérusalem et où elle développa sa thématique qui fit tant couler d'encre tout en connaissant un développement mondial) de "banalité du mal".

Il n'est pas question, ici, de refaire ce procès. Il n'est même pas question de revenir sur la violence et la sidération que provoquèrent ces milliers de témoignages de survivants, contant, souvent dans la douleur mais avec une sorte de calme confondant, toute l'horreur de la fameuse "Solution Finale" dont Eichmann fut à la fois un des architectes tout autant qu'un des plus appliqués exécutants.

Pour comprendre - un peu - ce dont Christian Doumet, avec tout son art du mot, de la phrase, de l'image juste essaie de nous parler, il est bon de se replonger, pour quelques minutes (les dix premières de cette extrait du procès), dans ce moment qu'il essaie de décrypter (plus que d'expliquer à proprement parler. Car, d'explication totale, y en aura-t-il jamais ?) de cet écrivain juif d'origine polonaise, Yehiel Dinur, rescapé d'Auschwitz où il aura séjourné plusieurs mois avant la libération du camp (et qu'importe s'il n'y s'est trouvé que six ou sept paires de mois plutôt que deux années pleines, de son propre témoignage : l'indicible ne se mesure pas ainsi lorsque la mort veule peut y survenir à n'importe quel instant, sans raison, ni but). Ces quelques instants d'une rare intensité - songeons que le regard de ce survivant croisait, une fois de plus, celui de son bourreau -, l'écrivain de 52 ans signant  ses récits d'un Ka-Tzetnik ou Ka-Tzetenik 135633, en référence à son numéro de déporté, il faut les voir pour comprendre la profonde réflexion qui est ici donnée à lire : https://youtu.be/m3-tXyYhd5U

C'est donc dans ce silence total de l'évanouissement d'un de ses doublement semblable - être infiniment humain & écrivain - Christian Doumet cherche à creuser le sillon lugubre et douloureux auquel nous invite le témoin de cette fameuse "banalité du mal", par delà les décennies, qu'il tente, sans aucune espèce de certitude définitive, sans a priori ni force autre que celle de qui tâche, à son tour, de porter témoignage de ce qu'il ressent au plus profond de son être et de son verbe, au visionnage de ce moment minuscule et immense, violent au-delà de toute violence et pourtant tellement peu face à la monstruosité du Crime commis quelques années auparavant.

« Je ne suis pas comme un écrivain, prévient Yehiel Dinur au début de sa déposition. Ce que j'écris est une chronique de la planète Auschwitz. » Il poursuit : « Cette planète des cendres, Auschwitz, se situe en face de notre planète Terre, et l'influence. ». Cette évocation d'une planète de cendre juste en face de la nôtre, c'est celle de ce corps retombant en silence face à l'impeccable fonctionnaire du mal que Christian Doumet, convoquant tour à tour la lucidité d'un Maurice Blanchot, l'esprit visionnaire d'un Franz Kafka ou encore le témoignage tellement poignant d'un Primo Levi, examine au plus juste, avec une intelligence et une modestie rares.

Yehiel Dinur ne reviendra jamais témoigner, après s'être remis de son évanouissement. Comme si la parole n'était ni suffisante ni plus nécessaire après que le corps ait engagé son ultime message, face au monstre, face à ceux qui voulaient savoir, face à l'éternité sidérée.

Un texte fort, profond, posant plus de questions qu'il ne prétend apporter de réponse. Et d'approcher un peu de ce que pu être le sens d'une existence vouée à l'extermination proche par la volonté démesurément délirante et abjecte d'une poignée d'individus éperdus de folie furieuse. Un de ces ouvrages à reprendre plus d'une fois.
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