La valise

Andrioucha fut mon premier ami. Nous avions fait connaissance pendant l'évacuation. Pour être précis, nous étions allongés côte à côte dans nos poussettes respectives.

Il m'était arrivé à trois reprises de ne pas voter, non pas esprit de dissidence, mais plutôt parce que je déteste les actions insensées.

La plupart des gens considèrent comme insolubles les problèmes dont la solution ne leur convient pas. Et ils continuent de poser des questions, bien qu'ils n'aient absolument pas besoin de réponses précises ...

Je me souviens avoir entendu dire que les contraires s'attirent. Il y a selon moi quelque chose de douteux dans cette théorie, ou tout du moins de contestable. Par exemple, Dacha et André se ressemblaient : tous deux grands, beaux, gentils et pratiques. Tous deux appréciaient avant tout l'ordre et la tranquillité. Ils vivaient avec goût et sans problème.
Lena et moi nous ressemblions également : tous deux, des ratés chroniques. Tous deux en désaccord avec la réalité. Même en Occident, nous trouvons le moyen de vivre au mépris des règles établies.

Ma femme dit :
- Vivre avec un homme qui reste uniquement par paresse, c'est de la folie.
Ma femme exagère toujours. Même si, effectivement, je m'efforce d'éviter les soucis inutiles. Je mange n'importe quoi. Je vais chez le coiffeur quand j'ai une tête qui ne ressemble plus à rien. Mais alors, c'est la tondeuse. Ensuite je n'y pense plus pendant trois mois.
Pour être franc, je n'aime pas sortir. Je veux qu'on me laisse en paix.
( ... )
Cela étant je ne peux pas vivre seul. J'oublie toujours où sont les factures d'électricité. Je ne sais ni repasser ni laver. Et surtout je ne gagne pas grand chose.
Je préfère être seul mais à côté de quelqu'un.

En mars 1941 naissait Andrei Tcherkassov. En septembre de la même année, c'était mon tour.
Andrioucha était le fils d'un homme célèbre. Mon père, lui, ne se distinguait que par sa maigreur.
Nikolai Konstantinovitch Tcherkassov était un éminent artiste, député au Soviet suprême. Mon père, un banal homme de théâtre, fils d'un nationaliste bourgeois.
Le talent de Tcherkassov faisait l'admiration de Peter Brook, de Fellini et de De Sica. Du talent de mon père doutaient même ses propres parents.
Tcherkassov était connu de tout le pays comme artiste, député et combattant pour la paix. Mon père n'était connu que des voisins, comme un type nerveux et buveur.
Tcherkassov avait une datcha, une voiture, un appartement et la gloire. Mon père avait de l'asthme et c'est tout.

Je préfère être seul, mais à côté de quelqu'un.

Un intellectuel russe qui n'a pas fait de prison ne vaut rien...

Nous n'avons pratiquement pas élevé notre fille, nous l'avons seulement aimée.

Il y a trois choses que peut faire une femme pour un écrivain russe. Elle peut le nourrir. Elle peut sincèrement croire à son génie. Et enfin elle peut le laisser tranquille. Le troisième, entre parenthèses, n'exclut pas les deux premières.

Tout autour, des mondes merveilleux,mystérieux, surgissaient et s'écroulaient avec fracas. Comme des cordes trop tendues, les rapports humains cédaient. Nos amis renaissaient et mouraient à la recherche du bonheur.

La plupart des gens considèrent comme insolubles les problèmes dont la solution ne leur convient pas.