Citations sur La Folle Destinée des Kerdelec : Un secret bien gardé (15)
Ceux qui ne tentent rien ne réaliseront jamais leur rêve. Alors, que risquez-vous à tenter le vôtre, sinon de réussir ?
Qui se déguisait en garçon pour suivre les cours des précepteurs ? Qui parcourait la campagne en l’absence de leur famille pour gérer les terres et aider les paysans ? Qui maintenait les comptes à jour et réglait les problèmes de servitude à la place du jeune homme ? Et sans jamais s’en attribuer les mérites afin que leur père n’y voie que du feu ? Non qu’Étienne fût incompétent dans ces matières, mais il s’en désintéressait totalement, préférant passer sa vie à lire et à écrire.
Son nom lui parvint au loin et elle rouvrit les yeux. Son cœur manqua un battement, et ses paumes appuyèrent contre le torse du comte de Carnac qui venait de faire barrage de son corps. Il gardait son bras autour d'elle, comme s'il voulait former un cocon pour la protéger de l'extérieur. Jamais encore Sophie n'avait été si proche d'un homme, pas même de Mathieu lorsqu'il l'avait aidée à descendre de cheval. Une telle proximité la paralysa, sans qu'elle comprenne pourquoi. Elle détestait Carnac, elle détestait absolument tout de lui. Et pourtant, à cet instant, elle ne parvenait pas à se détacher de ses yeux sombres. Ses yeux sombres qui lui faisaient l'effet d'un trou noir capable d'absorber toutes ses réticences.
Chacun devrait pouvoir vivre comme il l'entend, quelle que soit sa naissance, prononça Antoine. Et je ne parles pas seulement de titres ou de richesses. La société accentue les clivages, il n'appartient qu'à nous de ne pas les respecter.
La sincérité de ses propos toucha profondément Sophie, cachée derrière ces vêtements d'homme. Mathieu de Chevigné n'était pas seulement agréable et beau, il possédait une grandeur d'âme qui forçait l'admiration et... un sentiment plus profond encore, qui lui provoqua des frissons agréables.
Un ami, un vrai, s'obtient avec le temps. Certes, une inclination est nécessaire au départ, mais ce sont les moments de joie, comme les pires épreuves, qui vous permettent de forger une amitié.
Sophie affectionnait ces objets qui racontaient l’histoire des générations précédentes.
Seule une bibliothèque composée d’étagères garnies de livres anciens, avec quelques fauteuils, demeurait accessible pour d’éventuels invités. Ainsi, on faisait d’une pierre deux coups : le feu qu’on y allumait préservait les livres de l’humidité et les jeunes Kerdelec s’y détendaient ou y accueillaient les précepteurs qui osaient s’y aventurer en l’absence du baron et de la baronne.
Une pointe d'amertume la saisit. La liberté s'offrait à Etienne, mais jamais elle ne pourrait le suivre dans les salons masculins ou aux loges des politiciens.
— Charles est une force de la nature, il reviendra, j’en suis sûr.
Une force de la nature… Sophie baissa la tête. Oui, l’héritier des Kerdelec s’était toujours montré vaillant et courageux. Mais qu’est-ce qu’un homme pouvait faire contre une mer déchaînée ? Était-il prisonnier quelque part ? Avait-il fini noyé ou dans l’estomac d’un requin ? Et dire qu’il s’était enrôlé dans la marine afin de faire fortune et de sauver leur famille de la ruine. S’il avait su… aurait-il plutôt suivi les traces de leur père et assumé sa charge aux États de Bretagne ? Tellement de si auxquels personne ne pouvait répondre…
— Mathieu ? s’écria Étienne avec entrain. Je ne vous ai pas reconnu. Comme vous avez changé !
Sans attendre, il abandonna sa sœur et se rapprocha de leur visiteur. Le cheval fit encore quelques pas avant que monsieur de Chevigné en descende. Les deux jeunes hommes se donnèrent une franche accolade. Tout heureux de ces retrouvailles imprévues, ils ne prêtaient guère attention à Sophie, ce qui lui laissa le temps de mieux les détailler. Le vicomte était légèrement plus grand qu’Étienne, avec une carrure plus imposante. Il ressemblait vraiment à un homme, maintenant, et Sophie s’en sentit intimidée.