Et je me rends à l'évidence : pour cette première séance, ce n'est pas moi qui ai analysé le comportement d'Archibald Tourmenteur, mais c'est lui qui a analysé le mien.
Devant lui, une scène ignoble.
La vision la plus affreuse qu'il ait jamais eue.
Enfermez quatre femmes une nuit entière dans une pièce. Ajoutez-y quatre morts sur leur conscience, une tempête déferlante. Assaisonnez avec onze heures de labeur dans les pattes et elles finiront inévitablement par se dévorer entre elles.
Deux années de calvaire, de stress, de para-noïa, de « tu es sûre que c'est normal, ça?», d'inquiétudes et d'angoisses. Et entre tous ces tracas, de rares instants d'extase inoubliables.
La patience finit toujours par payer.
À l'extérieur, le tonnerre rugit. Les éclairs se fracassent sur la colline et ses environs, illuminant le ciel d'une lueur artificielle, électrique, foudroyante. La tempête s'abat avec véhémence contre l'hôpital, expédie ses bourrasques sur les façades, faisant tanguer et grincer les volets métalliques baissés, décrochant les-jointures et les panneaux isolants du toit.
Les fenêtres tremblent, le vent siffle dans les interstices de l'infrastructure comme un animal à l'agonie.
La pluie s'insinue par les plinthes, s'écoule, se fraie un chemin le long des cloisons et forme de petites flaques éparses dans le couloir
À l'intérieur, le bruit des Nike Air de Yazid martelant le lino est étouffé par l'orage. Il est seul. Pas un son humain. Pas âme qui vive. Seulement ses pas et les hurlements incessants du cataclysme au-dehors.
L'aide-soignant progresse à l'aveugle. Le couloir est plongé dans le noir, seuls les néons des sorties de secours projettent une lumière verte, tamisée et dis-crète, orchestrant des jeux d'ombres angoissants dans les anfractuosités de l'étage.
Enfermez quatre femmes une nuit entière dans une pièce. Ajoutez-y quatre morts sur leur conscience, une tempête déferlante. Assaisonnez avec onze heures de labeur dans les pattes et elles finiront inévitablement par se dévorer entre elles.
Julie souffle pour se donner du courage . L’odeur des lieux est infecte. Elle pointe la lumière de son smartphone vers la poignée. Jambes écartées, le bassin en arrière , elle pousse la porte. Le halo de la lampe tactile se dirige vers une vision épouvantable.
Si je devais résumer en une phrase, je dirais que si le Mal existe, Archibald Tourmenteur en est l’incarnation.
Julie repose le document, incrédule.
Dans quelle dimension est-elle passée ? Qu’est-ce que c’est que ce courrier ? On nage en plein délire ! Une histoire romanesque digne d’un mauvais polar de série B. À croire que ce psy, René Moutrut, s’est véritablement exercé à écrire la biographie d’Archibald Tourmenteur, pour le plus grand bonheur des amateurs de thrillers à suspense.
Pour conclure cette brève synthèse, je finirai en m’éloignant momentanément de mon domaine de prédilection, la psychiatrie, de tout ce à quoi j’ai toujours cru dans mon travail et de tout ce pour quoi je me suis battu. Si je devais résumer en une phrase, je dirais que si le Mal existe, Archibald Tourmenteur en est l’incarnation.