Citations sur Pour exister encore (75)
Le passé d’Émilie ne t’appartient pas, elle ne t’a rien demandé. C’est une vieille dame. Laisse-la finir sa vie en paix.
Son attitude était le reflet du désarroi d’Émilie et devenait une vérité. Oui… Une vérité qu’elle avait refusé d’admettre jusqu’à présent,mais qui prenait corps dans le creux des pierres séculaires du monastère. Une partie de la vie de la pensionnaire du couvent des Dames de Saint-Maur était liée à la sienne et consignée là sur cette terre. Son acharnement était l’ombre d’un secret qu’elle sentait sourdre autour d’elle depuis longtemps.
Ils étaient tous écrivains. Leurs ouvrages avaient obtenu des succès d’estime. Tous considéraient leur passion de l’écriture comme une aventure précaire. Ils vivaient peu ou pas de leur plume.
Alice Drew journaliste, écrivaine, était originaire des États-Unis. D’emblée, Emma
l’avait trouvée agaçante à l’image de cette héroïne de livre, cette Alice détective trop lisse, trop parfaite à son goût – sa mère possédait toute la série publiée dans la bibliothèque verte – et dont pourtant, petite, elle dévorait les histoires. Elle eut un sourire doux-amer. Déjà enfant, ses opinions, ses jugements se jouaient d’une opposition.
Le contact d’un homme s’était transformé en une peur viscérale. Alors la solitude était devenue sa seule complice et les hommes avaient déserté sa vie.
Mais voilà qu’en un instant, un parfait inconnu venait de fendre l’armure qu’elle avait érigée. L’espoir anima son cœur.
Depuis sa rupture avec Guillaume, elle avait eu quelques aventures, mais ces rencontres amoureuses avaient été plus que chaotiques. Son besoin d’aimer, d’être aimée, annihilait sa raison, faussait sa perception des choses. Elle succombait et se réveillait déçue, écœurée, malheureuse. Tantôt fuyante, tantôt larguée. Tous des cons , avait-elle fini par penser. Des coureurs, des menteurs, des tarés.
L’évidence se jouait sous ses yeux. Ces deux femmes, sur ces clichés que vraisemblablement plus de soixante ans séparaient, se ressemblaient étrangement. Le visage de l’une était la réplique
de l’autre.
Il s’agita de nouveau. Malgré la chaleur, son corps était devenu de glace. L’incompréhension des premiers mois s’était muée en une certitude, pour faire place depuis quelque temps à une obsession. Nerveux, il se leva, fit quelques pas dans le bureau puis il revint s’asseoir, plus calme.
La malade s’était débarrassée de son passé. Elle avait délesté son cerveau du désordre d’une vie révolue. Elle était retournée au vide du présent charriant les eaux sales, les eaux boueuses du remords.
Il n’y a rien à comprendre, mon petit. Ma vie est ce que j’en ai fait. Un supplice.
Les mots eurent l’effet d’un détonateur. Le visage d’Émilie se crispa. Il était devenu
de cendres. Les rides se creusèrent en profonds sillons. Ses mains se mirent à trembler.
Son cerveau entrait de nouveau en conflit. Les veines des tempes palpitaient sous
la pression du chaos.
Il fallait que je parle. La délivrance des mots n’a pas allégé mon fardeau. Il s’est alourdi de son désespoir. J’ai cru qu’il allait me tuer. Il ne m’a jamais aimée, je le sais. Il est resté à mes côtés, croyant vivre auprès d’une sainte. Il découvrait, dans mes révélations, le monstre que j’étais.
Trente-six ans, il y a maintenant
trente-six ans qu’ils sont partis. Après toutes ces années, ils me manquent encore,
terriblement. Je le mérite. Ma faute… mes fautes, corrigea-t-elle, sont à la hauteur
du châtiment de l’absence. Je savais que mes aveux les feraient fuir, les feraient
me maudire.