À l'époque où les fillettes étaient des bébés, leur image avait été associée à des marques de savon ou de lait en poudre ; maintenant, on se servait d'elles pour promouvoir l'engagement du Canada dans un conflit mondial. Peut-être cette cause était-elle juste, mais de quel droit utilisait-on ces enfants ? N'était-ce pas une terrible façon de les endoctriner, de les priver de toute possibilité de développer leur libre arbitre ?
- N'était-ce pas un charmant spectacle ? lança Miss Darmon à sa classe réunie.
- Oui, Miss Darmon, c'est fascinant comme ces cinq petites filles se ressemblent, répondit une élève.
- Quel dommage qu'on ne puisse pas leur lancer des cacahuètes ! grommela Edith.
Le docteur Defoe, inquiet pour la tranquillité des jumelles, ramena à deux le nombre de shows quotidiens.
Ce qu'il retenait de la conversation, c'est que la fascination que les quintuplées exerçaient sur le public tenait uniquement dans l'apparence identique des cinq fillettes. Les visiteurs se moquaient bien de savoir si les petites étaient heureuses du moment qu'on les leur présentait comme cinq copies conformes, cinq exemplaires d'un même bébé, cinq êtres vivants monstrueusement semblables.
Dans le contexte de crise économique qui frappait durement le continent tout entier, cette affluence de visiteurs représentait une véritable aubaine pour l'hôtellerie locale. Le gouvernement pria l'équipe des tuteurs d'organiser l'accueil des touristes à la pouponnière. Toutes ces personnes qui venaient de loin ne devaient à aucun prix être déçues et il convenait, dans la mesure du possible, de leur permettre de voir les prodigieux bébés dans de bonnes conditions. On aménagea donc, dans le hall d'entrée de la pouponnière, une fenêtre vitrée donnant sur la salle de jeux où l'on installait les fillettes lorsqu'elles ne dormaient pas.
D'ici-là il fallait les protéger, limiter autant que possible les conséquences désastreuses de cette vie de bête de foire qui se dessinait pour elles. Et puisqu'elles paraissaient condamnées à être des monstres aux yeux du public, c'était à lui, Dafoe, que revenait la responsabilité de diriger ce cirque. (p.104)
- L'attitude du gouvernement est scandaleuse, je me battrai pour retrouver mon autorité paternelle ! Tout ça parce que nous sommes des Canadiens français ! Si nous étions anglophones, les choses ne se passeraient pas de la même manière... C'est toujours la même histoire : plus les gens sont pauvres et opprimés, plus on cherche à les enfoncer.
Quel est le thème d'histoire
-Je croyais que les quintuplées ne t’intéressaient pas, souffla Alice
- Je ne devrais pas m’y intéresser, mais c’est tellement honteux que je ne peux pas rester indifférente. C’est toujours la même histoire : les gens profitent d’elles. Est-ce que tu crois que ça changera un jour ?
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