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Critique de 5Arabella


Ce roman, paru en janvier 1966 fut écrit laborieusement à partir de 1962. Plusieurs fois au point mort, il a été repris et modifié fortement par l'auteure, avant d'aboutir au résultat final. Il sera adapté au théâtre sous le titre d'India Song en 1973, puis toujours sous ce titre transformé en film en 1975. C'est peut-être le film de Duras le plus connu, grâce sans doute à l'obsédante musique de Carlos D'Alessio. Nous retrouvons dans ce roman des personnages entrevus dans le ravissement de Lol V. Stein, Anne-Marie Stretter et Michael Richard (dont le nom se transforme légèrement du Richardson d'origine).

Le livre est un objet complexe, plusieurs narrations, narrateurs potentiels, voix, se mêlent dans une sorte de polyphonie. Une jeune fille enceinte chassée de chez elle, qui marche, qui traverse des pays, qui vit le fond de la misère et du malheur, débute le récit, et reviendra encore, jusqu'à devenir une mendiante chauve, lançant une mélopée lancinante à Calcutta, à proximité de la résidence du consul de France. Mais il y a aussi les habitants et habitués de la résidence du consul, tous sous l'emprise, sous la fascination, sous le charme indicible d'Anne-Marie Stretter, la femme du consul. Femme fatale, sur laquelle circulent des histoires, presque des mythes se construisent, sorte de sphinge, qui garde ses mystères, elle attire et fait fantasmer les hommes. Et puis il y a le Vice-consul du titre, reprouvé qui aurait commis des choses terribles à Lahore, il est en attente que l'on décide de son sort, mis au ban de la société européenne. Anne-Marie Stretter l'invite à une de ses soirées, une communication étrange semble s'établir entre eux. Et il y a tous les hommes qui circulent autour de la femme du consul, dont Peter Morgan, qui écrit l'histoire de la mendiante, au point que l'on ne sait pas si ce que nous avons lu à son sujet est le récit du vécu de cette femme, où le récit inventé par Morgan à son sujet. Où peut-être un mélange des deux, sans qui nous puissions savoir où se situe la frontière entre les deux.

Dans une Inde rêvée, dans une chaleur moite, qui provoque une sorte d'état second, Marguerite Duras construit un labyrinthe fascinant, dans lequel on croise des personnages incertains, qui livrent par bribes, des morceaux de leur être le plus profond, presque malgré eux. Des correspondances étranges, jamais explicitées surgissent, comme entre la mendiantes et Anne-Marie, ou entre Anne-Marie et le Vice-consul. L'insupportable douleur du monde, l'impossible acceptation du malheur, mais aussi la force déchirante du désir, la séparation irrémédiable d'avec les autres, l'enfermement dans des conventions auxquelles on ne peut échapper, les thèmes, les trames s'entremêlent, au point qu'il est difficile de les identifier. Comme dans un morceau de musique où les notes se mêlent pour former un motif qui est un tout. Il faut se laisser porter, sans essayer de tout comprendre, s'abandonner au charme, à la magie des mots, pour faire ce voyage dans un lieu, qui est nulle part et partout, dans l'imaginaire, et au fond de chacun. Si on y arrive, ce sera un moment inoubliable.
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