Elizabeth Taylor n’avait pas encore pris le flambeau pour sauver les sidéens. Les populations africaines n’en étaient pas à s’éteindre, fauchées par le fléau. Elles mouraient seulement de famines, organisées pour la plupart. La belle époque! Les guerres de religion, ce phénomène cyclique, n’avaient pas recommencé, les croisades non plus. L’Irak combattait l’Iran et Saddam Hussein était de notre côté. On n’avait pas entrepris de numéroter les intifadas et les États-Unis s’ennuyaient ferme, empêtrés dans leur conflit idéologique contre le communisme. En prime, il manquait encore deux génocides importants à l’ordre du jour du vingtième siècle, l’un en Europe et l’autre en Afrique, tous deux permettant enfin de retrouver les bonnes vieilles expressions de « nettoyage ethnique » et de « supériorité de la race ».
Ce n’est jamais facile d’être un homme, mais personne ne le dit. On se gausse des camions et des voitures sport, on se moque des minettes et des blondes, on rit des machos et des gigolos, mais on ne saisit aucunement les subtilités de l’âme masculine, bien plus compliquées que les courriels humoristiques et les conversations de piliers de bar ne t entent de le faire croire. Un homme. Une femme. Un ou des enfants. Une maison. Les preuves de l’existence. Cette énumération toute simple recèle pourtant la plus grande des complexités.
À m’étudier, les gens autour pourraient croire que je porte un masque d’indifférence, que ces années de silence entre ma mère et moi ont construit un mur. Il ne faut pas se fier aux appar ences. Je me prépare à inhumer une femme e xtraordinaire et maintenant je sais que je suis dig ne d’être son fils. C’est cette sérénité que j’affiche, rien d’autre.
Au cégep, j’ai tant hésité à faire les premiers pas que je suis toujours arrivé dernier. Heureusement qu’il y a eu Lucie. Belle, douloureuse même. La beauté est parfois blessante. Elle avait de magnifiques cheveux longs qui c ouvraient son dos étroit. Sa bouche exquise attirait les jeunes loups qui se mettaient sur son passage juste pour mieux l’apercevoir et en rêver. Elle avait des yeux expressifs et un cou invitant.
Le sida a besoin de publicité. Pour la recherche, pour protéger les générations futures, pour démystifier la maladie, pour arrêter d’ostraciser ceux atteints par le VIH.