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Critique de HundredDreams


R.J. Ellory fait partie de ces auteurs que je suivais régulièrement à une époque où je lisais énormément de policiers, thrillers et romans noirs. J'ai aimé « Seul le silence » ou « le chant de l'assassin ».
Aujourd'hui, je ne ferme pas la porte à ces genres littéraires mais mes goûts ont évolué avec le temps et je recherche davantage des romans plus lumineux, originaux, engagés ou vibrants.

« Une saison pour les ombres » est un thriller psychologique, un roman noir. R.J. Ellory bâtit son intrigue autour de Jack Devereaux, un enquêteur sur incendie pour les compagnies d'assurance qui revient, après de nombreuses années d'absence, dans la ville où il a vécu pendant son enfance.

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L'auteur nous emmène ainsi dans l'extrême nord-est du Québec, à Jasperville, une petite ville industrielle gérée par une grosse entreprise, la Canada Iron.
Jasperville est situé en plein coeur d'un immense parc national, dans un territoire particulièrement inhospitalier et sinistre, entouré de chaînes de montagnes et de forêts abritant plusieurs sortes d'animaux sauvages, comme les ours noirs ou les loups de l'Est.

L'ambiance arctique produit une ambiance étrange et glaciale, noire et austère, qui, immanquablement, participe à installer un climat d'isolement et de tension.
Les habitants vivent dans des conditions climatiques extrêmes. Ils doivent composer avec des hivers longs, sombres, rigoureux et des étés humides où la glace fondue crée de vastes marécages, véritables viviers de moustiques.
C'est aussi un lieu hors du temps, chargé de mystère et qui porte malheur, une terre de magie où subsistent de vieilles légendes amérindiennes. Dans ses entrailles, vivrait le wendigo, un être surnaturel animé du désir de tuer et de se repaître de ses victimes.

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Le lecteur entre tout de suite dans l'intrigue, harponné par un incipit fort et une vue en plongée sur le personnage principal.
Fuyant une enfance difficile marquée de nombreux décès d'une extrême sauvagerie, Jack Devereaux a quitté la maison familiale jusqu'au jour où un policier de la ville le contacte pour lui demander de revenir. En effet, Calvis, son jeune frère, vient d'être arrêté pour tentative d'assassinat.

« À ces mots, tout lui était revenu. Les monts Torngat, les forêts éloignées. L'odeur des feux de bois, du métal brûlant, des cirés mouillés dans l'entrée. Les vêtements humides, gelés, cassants comme l'ardoise le matin. Des formations de glace insensées – couche sur couche – aux fenêtres et aux murs. La triste vacuité horizontale du passé ; rien à voir que la distance. »

Les raisons de son geste restent encore obscures pour la police, mais Jack devine aussitôt un lien avec le décès de plusieurs jeunes filles de Jasperville lorsqu'il était enfant.

Cela fait vingt-six ans que Jack a coupé tous les liens avec cette ville maudite, avec sa famille, ses amis, son amour de jeunesse. Mais est-il possible d'oublier les évènements traumatisants de l'enfance, la violence psychologique subie, sa famille, ses promesses et ses manques, sans être rattrapé par les ombres du passé ?

« Les questions restées sans réponse creusaient un vide où se portait toute l'attention. Impossible de faire son deuil. Malgré tous leurs efforts pour accueillir le moment présent, le passé les aspirait tel un tourbillon, sans jamais desserrer son étreinte. »

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R.J. Ellory a le sens du rythme et de la tension dramatique.
Mais en fin stratège, il n'hésite pas à prendre le temps de décrire les personnages, les paysages drapés de neige et de glace, l'ambiance oppressante et mystérieuse de ces lieux plongés dans la nuit polaire.
J'ai trouvé en cela qu'il se rapprochait davantage du roman atmosphérique que du roman d'action.

L'auteur a structuré la première moitié du récit autour de l'alternance entre passé et présent. La trame complète, tout comme les liens entre les personnages, se construit progressivement pour mieux nous faire comprendre la fragilité émotionnelle de Jack, la nécessité de fuir les événements comme celui d'y faire face.

« Un homme construit un château pour se protéger, puis se retrouve piégé à l'intérieur. Où qu'il aille, tous les couloirs le ramènent au même endroit. »

Pour cela, des flashbacks nous ramènent dans les années 70. Chapitre après chapitre, lentement, j'ai glissé dans l'enfance de Jack, aspirée par ses souvenirs douloureux, heureuse de remonter à la surface du présent pour enfin découvrir la vérité sur ces morts suspectes qui affectent toute la ville et plus particulièrement la famille de Jack.

« Il commençait à comprendre que les fantômes étaient en lui et que, même s'il partait au bout du monde, ils l'attendraient encore. »

Puis, dans la deuxième moitié du récit, l'ambiance s'alourdit, le mystère est là et l'intrigue démarre véritablement pour nous entraîner progressivement, de plus en plus loin, dans les profondeurs, les tourments et les déconvenues de l'âme humaine.

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J'ai apprécié l'écriture de l'auteur, agréable, fluide et introspective. J. R. Ellory sait s'y prendre pour fouiller, creuser, excaver, déterrer les secrets en dévoilant peu à chaque fois pour mieux nous garder captif.
J'ai aimé le ton nostalgique du récit, la lenteur voulue, le sentiment omniprésent de désarroi et de conscience tourmentée, le suspense mélancolique qui ne laissent pas de côté les émotions, mais au contraire, diffusent la peur, la souffrance, le doute et la peur.

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Tout au long de la narration, J. R. Ellory dresse des portraits sans concession, crédibles et nuancés, magnifiquement bien travaillés. Il n'y a pas de manichéisme, l'auteur décrit aussi bien les qualités que les failles de chaque personnage.
Jack est un protagoniste attachant, profondément humain, brisé qui tente de se racheter. Se sentant abandonné par les morts, il a abandonné les vivants à leur sort. Dans son esprit flotte un sentiment de solitude, de peur, d'abandon, de honte et de douleur silencieuse.

« La conscience est un pays intérieur. On a beau changer de décor, il y a toujours quelque chose qui vient vous rappeler ce que vous avez fait de pire dans votre vie. »

Avec ses destins brisés et ses personnages abîmés, le roman explore les thèmes de la culpabilité et de la trahison, du manque de communication dans les familles et des espoirs déçus, des blessures affectives et de la folie, et plus que tout, du poids des souvenirs et de la volonté de rédemption.

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Malheureusement pour moi, mon avis va se situer un peu à contre-courant des autres lecteurs qui ont posté des billets plutôt positifs. Si j'ai savouré le développement émotionnel des personnages et la façon dont l'auteur maîtrise le suspense, si j'ai apprécié la peinture d'une ville terne et triste, ainsi que l'atmosphère empesée qui se resserre lentement en un huis-clos introspectif, il m'a manqué toutefois plus de densité, d'originalité ainsi qu'une conclusion plus aboutie et moins précipitée.

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Pour conclure, J. R. Ellory fait preuve d'une belle maîtrise de l'intrigue, sa fausse simplicité soutenue par des descriptions d'une communauté isolée dans un climat hostile et une nature peinte dans un camaïeu entre blanc et noir.
« Une saison pour les ombres » est une lecture agréable et distrayante qui demande un regard lent et introspectif. Mais personnellement, il m'a manqué quelque chose pour être totalement conquise, plus de souffle, de singularité. Ce n'est bien sûr qu'un ressenti très personnel parmi tant d'autres. A vous de vous faire votre propre avis si le coeur vous en dit.
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