Je n’ai jamais été un prodige d’équilibre. Ma masse étant très faible, je subis toutes les attractions dans l’abîme qui sépare les cœurs, ces planètes versatiles. Lorsque Helena, pimpante et souveraine, m’offrit son bras pour que je la guide jusqu’au Tiny Market, dans le gouffre d’Angel Circle ou sous les néons de Jingolee Drive, je dus faire appel à d’immenses réserves d’énergie pour me tenir droit comme un pylône, sans abandonner ma tête du côté de son parfum entêtant, ses cheveux qui au vent m’agaçaient la joue et ses aveux chuchotés (…)
Entre-temps ma relation avec Helena prenait forme comme une dentelle de soie avec trous et motifs à fleurs. Ainsi va l'amour avant qu'il ne devienne un tissu serré. Plus tard il arrive que les trous reviennent mais on parle alors d'étoffe mitée.
C’est un poème. Appelons-le ainsi parce qu’il n’est suspendu à rien, n’est attaché à rien, n’est retenu par rien. Les poèmes sont les seuls textes en suspension dans le vide.
Les rêves deviennent dangereux lorsqu’ils trouvent à l’état de veille assez d’éléments réels pour s’imbriquer à la fantasmagorie…
Elle me saisit par les épaules et me retourna de face, pressa ses lèvres contre les miennes, y planta un baiser rageur, sa langue en couteau, un fruit blet que l’on écrase, une gousse de venin noir.
Et elle posa ses lèvres sur les miennes, ce fut un baiser très doux, parfumé, extatique, comme un beau fruit qui n’était plus de mer heureusement, un velouté de framboises, de cassis, de myrtilles et d’herbes des champs.
Quand le bon sens arrive ainsi, accroché au bout d’une période, ailé et bien nourri, tels ces angelots replets qui soutiennent les chaires de vérité baroques, il y a tout à craindre.