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Critique de Patsales


Une certaine critique littéraire affirme qu'une oeuvre touchera d'autant plus à l'universel qu'elle sera ancrée dans la réalité la plus spécifique. Plus que Racine et ses héros décontextualisés, Zola en décrivant la société du 2nd Empire tendrait un miroir fidèle à tout un chacun, y compris à ceux pour qui Napoléon III est un inconnu même pas illustre.
C'est le moment de vérifier cette théorie parce que, plus ancré à un territoire spécifique que ce roman, cela paraît difficile. Malheureusement, ce n'est pas moi qui pourrai juger de l'universalité de ce Banquet parce que, justement, le Middle West, c'est chez moi, c'est mon coin. Et de même que je n'ai jamais réussi à trouver J.-P. Raffarin antipathique, bien qu'éloigné de ma famille politique, pour l'avoir entendu dire « Un coup de gorgeon, un coup de mâchon, ni vu ni connu, j't'embrouille », j'ai évidemment adoré le roman d'Enard. Mais maintenant, hein, qu'est-ce qu'un lecteur qui ignore ce que sont les lumas et qui ne se dit pas qu'il est benaise en retrouvant sa couette peut bien avoir à faire d'une telle histoire ?
Le livre plaît ou déplaît fortement. Il faut dire qu'il commence comme le journal d'un jeune benêt décidé à anthropologiser les pèquenots des Deux-Sèvres (pléonasme). Et après cette première partie proprement hilarante, nous voilà sevrés, justement, des aventures du thésard par un auteur décidé à faire feu de tout bois, qui va multiplier les ruptures de ton: chaque partie est séparée de la suivante par la paraphrase d'une chanson patrimoniale, et la région que sillonne à vélomoteur David Mazon est explorée non seulement géographiquement mais aussi historiquement par un récit qui se fait poétique et épique, mêlant le folklore au pastiche d'Agrippa d'Aubigné. Cette construction, qui peut paraître alambiquée, a à voir avec l'essai de Levi-Strauss, « La pensée sauvage », qui définit le bricolage comme la forme la plus manifeste de la « science » des peuples primitifs. (« La pensée sauvage » est aussi le nom donné à la location d'où l'anthropologue en herbe espère expertiser les gens du cru.) D'où ce magnifique salmigondis qui convoque théâtre, chansons, journal, notes de bas de page, récits mythologiques, récits historiques et la grande roue de la réincarnation en guise de raton-laveur. Chaque brin d'herbe de la campagne niortaise est scruté aux confins de son passé et de son avenir, il fut infanticide avant d'être brin d'herbe et une fois arraché se réincarnera en mésange; et vu le nombre de brins d'herbe de la susdite campagne, on comprend que certains lecteurs se sentent dépassés par le nombre de personnages…
La substantifique moelle de l'ouvrage vaut-elle l'effort que sa lecture demande parfois ? Alors, c'est vrai que dans les parties 5 et 6 ça patine. le coeur du livre est occupé par le fameux banquet du titre et j'ai souvent eu l'impression que les chapitres suivants servaient surtout à justifier sa centralité. Ce banquet pantagruélique est celui des fossoyeurs, de la mort ensemençant la vie, comme la nourriture et la défécation se répondent, comme l'amour et la haine se donnent la main pour former une ronde. Et c'est vrai aussi que le lecteur frôle parfois l'indigestion, d'autant plus que la maestria narrative peut sembler n'accoucher que d'une souris: le roman se termine bien entendu comme il a commencé, par le journal de David Mazon qui découvre les joies du retour à la terre en filant le parfait amour avec une maraîchère inculte, (vengeant ainsi de malheureuses dentellières goncourisées mais larguées par de prétentieux intellectuels) et en faisant la promotion de la décroissance bio. Moi, j'aime les histoires qui se terminent bien, mais encore plus celles dont l'optimisme est discrètement tempéré par de multiples allusions à une fin du monde inéluctable. Il faut aimer, manger et picoler, avoir les mains dans la terre et pas seulement autour d'un livre, et il faut constamment sauver le monde même si ça paraît mal barré.
Les Deux-Sèvres sont le microcosme qui raconte l'univers dans son étendue et sa profondeur. On est quelques-uns pour qui c'était une évidence, mais cela va encore mieux en le disant.
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