Ma première tentative de lecture de
The Book of Ivy remonte déjà à plusieurs années. Si vous me suivez sur Twitter, vous savez qu'il est très, très rare que j'abandonne une lecture, à tel point qu'en dépit du nombre de livres avalés ces vingt dernières années, je peux encore compter sur les doigts d'une main les fois où j'ai jeté l'éponge. Et il reste de la marge. La raison de cet abandon ? Une tonne de trucs pas logiques et d'énormes incohérences, sans parler d'une héroïne vraiment, mais alors vraiment pas fut-fut. Alors moi, tu peux me balancer n'importe quoi : des dragons, de la magie, des citrouilles qui pètent, ce. que. tu. veux, tant que la façon dont tu places tout ça obéit à une certaine logique, s'imbrique bien ensemble, bref, que tu ne donnes pas une information sur ton monde pour en donner une autre qui la contredit trois pages derrière. Sauf qu'ici, vous l'aurez compris, c'est précisément ce qui se passe. Au bout de 80 pages environ, n'en pouvant plus, je m'étais avoué vaincu. Avec cependant la promesse de lui laisser une seconde chance et d'aller au bout, de ne pas me fier à cette entrée en matière catastrophique. Encore fallait-il être motivé pour ça...
En ce début 2021, après une lecture désastreuse, je prends la décision étrange, au lieu de me tourner vers un livre-doudou ou une valeur sûre, de crever l'abcès, récupérer ces deux tomes qui m'attendent bien sagement, et en finir.
Autant le dire tout de suite : les défauts qui m'avaient fait lâcher l'affaire il y a trois ans n'ont pas miraculeusement disparu en cours de route.
Dans ces fameuses quatre-vingt premières pages, on nous assène à répétition à quel point dans ce monde post-apocalyptique, les ressources sont précieuses. Les premières lignes du livre nous disent explicitement que le tissu blanc est une denrée rare, raison pour laquelle les robes de mariée ne sont jamais de cette couleur. Quand tu manques à ce point de ressources, à quel moment tu te dis « tiens, convoquons TOUTES les filles de 16 ans pour la cérémonie de mariage de groupe, en tenue donc, même si on sait que seule une partie d'entre elles (et précisément lesquelles) sont concernées. Et puis imprimons des flyers de couleur différente à chaque fois en gaspillant inutilement du papier, alors que le contenu est toujours le même et qu'on manque d'électricité, au lieu de simplement les garder de côté et renouveler seulement ceux qui sont abîmés » ? Là tu commences à te demander comment ces glandus sont parvenus à survivre sur deux générations après une guerre nucléaire parce que visiblement, ce ne sont pas les couteaux les plus affûtés du tiroir. Et puis, s'ils n'ont pas de tissu blanc pour les robes de mariée, ils ont quand même de la dentelle aux fenêtres... ça a beau ne pas toujours être blanc, tu mets rarement du jaune fluo sur tes vitres. Bref, je m'interroge sur la dentelle.
Mais le truc qui m'a vraiment fait tiquer, au point de me hanter durant tout ce temps, c'est LA GLACE.
On nous dit que comme les frigos n'ont plus de gaz réfrigérant, les gens utilisent des garde-manger en bois ou des caisses dans le pire des cas. ALORS. Je sais pas vous, mais un frigo, même débranché, reste quand même plus isotherme qu'un meuble en bois, à plus forte raison dans le Missouri, où il fait quand même un peu chaud en été. Et pour garder tout ça au frais, on ramasse la glace en hiver (mais au fait, il fait assez froid pour ça, dans le Missouri ?), on la conserve en chambre froide, et les gens sont LIVRÉS deux-trois fois par semaine. SAUF QUE.
Premier problème : le stockage. C'est qu'il faut bien la mettre quelque part, toute cette glace ! Et pour une ville de dix-mille habitants, ça en fait, des blocs, à raison de 2-3 par semaine pendant mettons huit mois de l'année... Mon conjoint s'est pris au jeu et a fait le calcul. Verdict : il faudrait une chambre froide de taille équivalente à un très gros entrepôt Amazon pour ranger tout ça.
Sauf que ça ne colle pas avec un second souci : le transport. Deux pages avant, on te dit que les rues sont en super mauvais état et que l'on ne peut plus se déplacer qu'à pied, en vélo ou avec les rares chevaux qui traînent. D'accord. Mais alors, la glace, elle est livrée COMMENT ? Non parce que la glace, c'est quand même encombrant, hyper lourd et en plus, ça fond. du coup, on s'est dit qu'il y avait plus vraisemblablement plein de petites chambres froides, du genre celles des anciens restos : pour avoir dans mon adolescence fréquenté une assoce jeunesse installée dans ce type de local, même des années après, ladite chambre froide transformée en débarras était toujours une dizaine de degrés plus fraîche que le reste, y compris en pleine canicule. Ça collerait avec le fait que les deux seuls bâtiments alimentés en électricité de façon permanente à Westfall sont le palais de justice et la maison du dirigeant. Reste que même avec un trajet plus court, il faut quand même transporter le truc, alors à moins que les survivants à la guerre aient soigneusement récupéré tous les sacs isotherme Deliveroo et Uber Eats lors de leur exode, ça reste très compliqué.
Avec mon conjoint, on a discuté de ça jusqu'à trois heures du matin, sans vraiment trouver de solution au problème. Il ne veut plus entendre parler de glace.
C'est peut-être tout bête, pas important pour l'histoire ou que sais-je, mais moi, c'est le genre de truc sur lequel je vais buter systématiquement. Pour croire à une histoire, aussi fantaisiste soit-elle, j'ai besoin qu'il n'y ait pas de faux raccord. Limite, si on ne nous avait rien dit, on n'y aurait même pas pensé, ou la rigueur, supposé qu'ils collaient les denrées dans des caves, sans chercher plus loin. Mais en l'état, on te donne une info pas forcément indispensable et surtout, qui ne s'imbrique pas bien avec celles dont tu disposes déjà.
Bref.
Je n'ai toujours pas réglé cette histoire de glace.
Mais j'ai continué à lire quand même.
J'ai mentionné plus haut qu'Ivy, l'héroïne, n'était clairement pas une flèche. Ceci dit, aussi agaçant que ça puisse être (surtout au début), vu le contexte dans lequel elle a grandi, c'est précisément le contraire qui aurait paru bizarre. D'autant qu'elle évolue réellement au fil de l'histoire... ou plutôt, de sa relation avec Bishop. Car, ne vous y trompez pas, pour être un gros consommateur de romance le reste du temps, ça ne fait aucun doute :
The Book of Ivy est une pure romance post-apo, la mission de la jeune fille ne servant finalement que d'objectif annexe assez peu présent. Si vous la retirez du livre, il ne reste plus rien ! Et alors ? Et alors, rien, c'est très bien comme ça. D'autant que mis à part les fameux couacs qui m'ont fait décrocher la première fois, eh bien... c'est pas si mal, en fait.
La romance est maîtrisée, sans précipitation. Et c'est vrai que Bishop est parfait, peut-être même un peu trop. Pas parce que contrairement à d'autres, il n'est pas un violeur, pas seulement parce qu'il se montre gentil avec Ivy, mais plutôt pour le reste de sa personnalité. Bishop encourage Ivy à réfléchir par elle-même, à faire ses propres choix, y compris vis-à-vis de lui, sans lui reprocher sa méfiance ; il n'hésite pas à remettre certaines choses en question sans pour autant négliger de mesurer le pour et le contre. En ce sens, il complète plutôt bien Ivy, qui est une pure fonceuse. Bref, leur relation n'est pas basée sur l'attraction physique, du moins pas au départ, mais sur leurs échanges, et se construit de façon crédible.
Au final, on se laisse prendre par cette histoire de romance interdite, de mensonge et de manipulation, dans un monde où presque rien n'est complètement blanc ou noir, mais où la place des femmes n'est guère enviable.
Amy Engel ne leur épargne rien, et les violences conjugales autant que le viol sont abordés TRÈS régulièrement. Si ces sujets-là sont sensibles pour vous, évitez. D'autant que sans entrer particulièrement dans les détails, le livre mentionne tout de même des actes vraiment abjects, de quoi surprendre vu sa classification 12 ans et +. Clairement, j'aurais plutôt pensé 15, ne serait-ce qu'à cause des thèmes abordés.
Pour un livre abandonné lors de sa première tentative de lecture,
The Book of Ivy s'en tire bien. Très bien, même. L'écriture est fluide et accrocheuse, le couple formé par Ivy et Bishop vraiment choupi, et si l'univers reste le maillon faible, il n'est finalement pas si dur d'en faire abstraction, passé les premiers chapitres d'introduction. Comme quoi, ça valait le coup de persévérer.