Citations sur Bleu miel (10)
Vous vêtir ? Je dis grège, un état naturel. Votre saveur ?
Fruits rouges. Votre regard ? Bleu miel, un métal bien
étrange. Vous définir ? Un autel sans dimanche, sans
messe, loin des foules. Voisine des forêts. J’aime chez
vous le poivre, la pointe qui résiste. La rigueur qui nue-
ment s’abandonne. Vous dites que la pierre concentre
la vitesse, que seul un amour sauve, que la joie se balan-
ce entre un rire d’enfant et le chant d’un moineau. Qu'il
ne suffit le rêve mais la poigne à le vivre. Vous parlez de
silences, d'arbres patients, de soleil égoutté chaque soir
sur la mer, de lumières de route. Les gens comprennent
mal ces choses que vous dites. Le roc, le centre, le magma,
ce qui respire et vit sans fiche explicative, ces mondes les
fatiguent. Dans la maison en flammes, vous sauvez cette
chose que personne ne voit. Et moi si loin de vous, je m’é-
tonne toujours à vous sentir si proche.
La terre boit comme une langue exaspérée . Quelque chose respire.
Extrait 4
Ne dis rien, raconte,
Je ne connaissais pas des espaces aussi grands. Un chat avait perdu ses griffes. Un homme trouvait de l’eau. On mangeait du fromage à n’importe quelle heure, en petits dés de lait. Ma langue s’en souvient. Des oies sauvages enseignaient l’alphabet au troupeau des nuages. Une souris faisait danser la boîte à céréales. Des écureuils filaient sur des pistes d’envol. Le sucre tombait des arbres. J’ai même caressé un loup. Personne ne voudra me croire. Et la musique. La musique partout. Pour les plantes, pour les bêtes, pour nous. La veille du départ, la fanfare jouait, les gens me tutoyaient et semblaient me connaître. Ils m’entraient dans leurs mains, leurs sourires, leurs lieux, leurs gestes, dans leurs mots, ou est-ce le contraire. Ils riaient du décalage horaire. Et aujourd’hui demain, hier pour l’origine. J’en perds la précision.
me poète en amour est dans la pièce du cœur
La paix écrit son nom , native dans l'accomplissement.
De mon coeur régulièrement écrasé , reste toujours quelque morceau qui bat.
Extrait 5
Ne dis rien, raconte,
Ai-je rêvé qu’ils déplacent parfois une maison sur des grands skis de bois ? Qu’ils bûcheronnent des tonnes et boivent plus que boire ? Que la lumière pleut dans la pluie des érables ? Que les ours de tous contes vivent dans leurs forêts ? Ils sont l’autre parcours. C’était un autre temps. Je le nomme aujourd’hui, pour le plaisir, la certitude. Un murmure puissant, le grondement en fête d’un sous terre irrigué. Ils sont l’érable rouge qui embrase la neige. Ils fixent la photo d’une rétine neuve. Une fanfare joue. C’est hier ce matin. Ils sont l’exact, et tu l’écris.
Extrait 3
Ne dis rien, raconte,
Ils amourent des blondes de toutes les couleurs, circulent dans des chars qui vont magasiner. Ils défendent leur langue comme l’oiseau son nid. Ils prennent des cafés sur des chaises berçantes qui ont vu leurs grands-mères. Autour de leurs maisons courent des galeries sans volets ni serrures. Ils ont la table mise comme une main ouverte. Les eaux de leurs cascades enjouées et glaciales éparpillent leurs jupes. J’ai même vu un cheval entrer dans un salon, pivoter sans casser les guitares, et repartir joyeux retrouver son jardin. Ils vivent l’essentiel. Ils s’appellent Jean-Marc, Yves, Jojo et quelques autres. Ils parlent de leur fleuve comme on parle de soi. Leurs cadeaux sont gratuits et leurs rires sonores. Quelqu’un m’a dit, raconte, raconte ton pays. Comment dire le luxe inutile et clinquant, les valeurs ajoutées et le vieux continent qui meurt de suffisance. J’ai eu honte soudain. Leurs paysages nus vivent plus loin que nos affiches.
Extrait 2
Ne dis rien, raconte,
Pas de fureur du monde, mais des choses, des gens, qui habitent la neige en carte de Noël. Et qui s’abritent en gestes élémentaires. Ils sont nés depuis peu, ils en gardent l’élan et la place du simple. En bas des thermomètres, ils espèrent l’été. L’été, ils ensemencent. Ils sont avec ferveur. Leurs lessives se mouillent sur des cordes à linge qui sont là pour chanter. Chanter, ils chantent tous. Ou presque. Ils sculptent ou ils écrivent, peignent ou dessinent des jardins. Ils sont la vie sans argumentation. Ma vieille Promenade, vaniteuse et fardée, n’en croirait pas ses artifices, " des Indiens dans la ville ! ". Ils sont l’exact d’avant les artefacts. Des chercheurs d’un autre or, t’es-tu entendue dire, étonnée de le dire.
Extrait 1
Une fanfare joue un disque de mémoire. Je m’élance au-dedans. C’est presque un autre temps.
Ne dis rien, raconte,
Descendue de l’image de la fille en avion, tu les as parcourus ces longues routes longues, ces terres bras tendus, ces granges de westerns aux drôles de chapeaux, ces villages isolés de vieux films irlandais. Tu les as approchées ces dormances de lacs qui s’inventent des fées, ces bisons légendaires, ces framboises géantes, ces façades de bois traversées de fantômes, ces pas de mocassins dans l’âme des poussières, ces ponts enferraillés de dentelles solides menant aux cœurs des villes. Et tu les as aimés ces théâtres perdus, retrouvés dans les arbres à la croisée des rangs. Cette parole nue en tréteaux et en planches, la voyageuse qui bouleverse. Je ne suivrai plus l’écriture de la même façon. Pour les mêmes raisons que là-bas il n’y avait pas de raisons. Que des graines et de l’eau, une poignée de sel.