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Critique de Presence


Ce tome fait comprend les épisodes 41 à 56 initialement parus entre 1991 et 1993, c'est-à-dire les premiers écrits par Garth Ennis.

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- Épisodes 41 à 46 - John Constantine est de retour à Londres dans une chambre minable. Un matin il se réveille et crache du sang dans le lavabo. Une visite chez le médecin confirme ce qu'il craignait : il a un cancer des poumons en phase terminale, avec quelques semaines à vivre. Un mauvais rêve prémonitoire confirme ce qu'il sait déjà : après la mort il est bon pour les Enfers où tous ceux dont il a causé la mort l'attendent de pied ferme. Il va visiter un service de cancéreux où il fait la connaissance de Matt alité en phase terminale. Il lui offre une clope. Il se rend à Dún Laoghaire, dans la banlieue de Dublin (Irlande), pour demander l'aide d'un ancien ami magicien, Brendan Finn. le cancer progresse inexorablement.

Quand Garth Ennis reprend la série, il est confronté à plusieurs évidences. Pour commencer, Jamie Delano a fait sien John Constantine au point qu'il était possible d'identifier les questionnements du personnage avec l'auteur (à commencer par Péchés originels). Ennis ne peut pas se contenter de faire du sous-Delano. Ensuite, Delano a laissé le personnage sans aucune attache ni intrigue en cours. Ennis ne dispose pas de direction préétablie, ce qui peut s'avérer aussi pratique que paralysant. Avec cette première histoire, le hiatus d'avec Delano est incommensurable. le lecteur passe de sommets métaphysiques, à une déchéance physique très ordinaire, très banale. Et pourtant...

Et pourtant, avec le recul, il est possible de constater que Garth Ennis utilise le personnage exactement comme Delano, en en faisant une sorte de prolongement de lui-même. le lecteur retrouve bien cet individu cynique et sarcastique issu du prolétariat anglais, la dimension horrifique à la fois réelle (la maladie) et surnaturelle (les démons et les anges, avec de rares pratiques magiques).

Avec le recul, il est possible également de distinguer une des thématiques principales de l'oeuvre d'Ennis : l'amitié entre hommes. Ici il s'agit des relations que Constantine noue avec Matt, le malade alité, et des retrouvailles avec Brendan Finn. Ennis sait montrer l'investissement émotionnel de Constantine dans ces relations, ainsi que l'enrichissement affectif mutuel qui en découle pour les personnes concernées. Il est possible également de remarquer le rôle non négligeable joué par les bars et autres pubs.

À l'issue des 6 épisodes, le lecteur reste avec la sensation d'avoir partagé les épreuves de Constantine, et ses pensées tout du long. Or un retour en arrière montre qu'Ennis n'abuse pas de la voix off donnant accès au flux de pensée du personnage. Finalement la majeure partie de la personnalité et des états émotionnels de Constantine passent au travers de ses dialogues avec les individus qu'ils croisent de Matt, jusqu'à sa soeur Cheryl, sans oublier Chas Chandler le conducteur de taxi. Ennis fait d'ailleurs un effort visible pour citer la continuité établie par Delano dans les tomes précédents.

Dans le déroulement du récit, Ennis met en scène un ange et des démons. Il reprend le cadre de départ de la série, à base d'une religion catholique dans laquelle il existe un Paradis, et un Enfer, et toute la cohorte de créatures qui vont avec. Comme Delano, il s'en sert pour montrer en quoi Constantine est un rebelle qui refuse l'autorité des représentants du bien comme du mal, refusant de leur reconnaître quelque droit que ce soit sur les êtres humains. Il est possible d'y voir un refus des élites (politiques ou autres) décidant du sort des individus qui forment le peuple, un besoin viscéral de maintenir un regard critique sur ces élus et autres qui restent fondamentalement des êtres humains comme les autres, tout aussi faillibles.

Ces 6 épisodes sont dessinés par Will Simpson (artiste ayant travaillé pour 2000AD, ayant également dessiné Vamps d'Elaine Lee), et encrés par Mark Pennington (épisodes 41 et 42), Malcolm Jones III (43), Tom Sutton (44 & 45), et Mark Pennington, Mark McKenna, Kim DeMulder, et Stan Woch (épisode 46). Simpson n'a pas la tâche facile parce que le scénario d'Ennis comprend de longues, très longues plages de dialogues, sans action.

Par exemple l'intégralité de l'épisode 45 se décompose en 3 séquences de dialogues, sans autres actions que les mouvements des personnages. le lecteur découvre ainsi un numéro dépourvu d'arrières plans, à part 3 lattes de bois dans un coin de case, et une embrasure de porte dans une autre. Les visages ont beau être expressifs, cela ne suffit pas à maintenir l'intérêt visuel de la narration. Cette capacité à dessiner des visages réalistes avec des expressions parlantes participe pour beaucoup à rendre les personnages plus vivants. Ils sont ordinaires, facilement accessibles au lecteur.

Ennis ayant fait le choix d'établir une partition étanche entre les scènes normales et les scènes surnaturelles, le style de Simpson est totalement adapté pour ces moments normaux, avec des personnages se conduisant comme dans la vie de tous les jours. Par contre, il est moins à l'aise quand le surnaturel devient majoritaire dans la scène. Il reste crédible lorsque le surnaturel (présence d'un ange ou d'un démon) n'est qu'un élément parmi d'autres. En fonction des goûts du lecteur, il pourra apprécier plus un encreur qu'un autre, leur travail donnant un aspect fini différent d'un épisode à l'autre. J'ai une préférence pour le travail rehaussant les textures de Malcolm Jones III; et pour celui de Sutton introduisant une forme de saleté ambiante.

À la première lecture, il est pourtant possible d'éprouver la sensation que ces dessins sont très fades et qu'il s'en dégage une impression d'uniformité plate. Il faut un peu de temps pour se rendre compte que cet effet provient de la mise en couleurs de Tom Ziuko. À cette époque, l'infographie est encore un outil balbutiant et une partie des metteurs en couleurs expérimente avec les techniques existantes en faisant tout pour s'éloigner des schémas habituels des comics de superhéros. Comme le fait remarquer Tornado dans son commentaire, Ziuko utilise une approche conceptuelle basée sur une palette restreinte, avec une teinte majeure en fonction de la scène. Ce choix a tendance à noyer toutes les cases dans une ambiance uniforme et insipide (à mes yeux).

À condition de pouvoir dépasser le départ de Jamie Delano, le lecteur découvre une histoire à nouveau bien noire, mêlant horreur quotidienne et surnaturelle, d'une façon très personnelle, propre au nouveau scénariste Garth Ennis. le ton change et Ennis adapte le personnage en conservant les fondamentaux. le récit est moins métaphysique, mais la réflexion n'a pas disparu, et l'intrigue recèle plusieurs surprises montrant que le personnage n'a rien perdu de ses talents de manipulateur.

Les dessins restent dans un registre adulte, avec une approche différente, plutôt bien adaptée au récit. Ils souffrent de la conception du récit qui s'appuie sur d'abondants dialogues qui ne donnent pas grand-chose à voir. Tom Ziuko (metteur en couleurs) continue d'expérimenter avec les moyens à sa disposition pour un résultat très personnel plus ou moins convaincant. Entre 3 et 4 étoiles.

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- Épisodes 47 & 48 - John Constantine fréquente un pub en particulier "Northampton arms", tenu par Laura (la veuve de Freddie). Mais le propriétaire a décidé de vendre, et l'acquéreur a des projets bien arrêté : raser le pub, toucher l'argent de l'assurance et réaliser un projet immobilier. le fantôme de Freddie veille sur Laura, mais ce ne sera pas suffisant. Épisode 49 - C'est Noël, et John Constantine n'a pas de cadeau pour Kathy Ryan (Kit, l'ancienne compagne de Brendan Finn). En plus, il doit remonter le moral du Seigneur de la Dance (celui de la chanson reprise dans le spectacle Lord of the Dance) qui erre sur Terre désespéré par la disparition de l'esprit des fêtes païennes ayant préexisté au Noël chrétien.

Avec le premier épisode, le lecteur se rend compte que Garth Ennis a trouvé le ton juste, entre un John Constantine au-dessus du commun des mortels grâce à son savoir ésotérique, et un sujet personnel (le pub comme lieu accueillant). En y ajoutant une touche de surnaturel, il écrit un épisode parfait respectant les conventions de la série, tout en écrivant un épisode très personnel. le deuxième épisode ajoute une touche de criminalité ordinaire, là encore à la fois raccord avec l'auteur, et avec le personnage de John Constantine.

Le troisième épisode est un peu plus convenu avec ce personnage incarnant une survivance d'un passé païen, supplanté par le totalitarisme spirituel de l'église catholique. Mais comme Ennis situe à nouveau une partie de l'intrigue dans un pub à descendre des bières, il y a toujours cette ambiance chaleureuse et cette sensation irremplaçable d'être assis à côté de l'auteur qui nous raconte son histoire.

Ces épisodes sont dessinés par 3 équipes différentes : épisode 47 par Will Simpson encré par Stan Woch, épisode 48 par Mike Hoffman également encré par Stan Woch et épisode 49 dessiné et encré par Steve Dillon (futur compère d'Ennis à partir de 1995 sur la série Preacher). Dans le premier épisode, l'encrage de Woch vient compléter avec adresse les dessins de Simpson qui gagnent en substance et en densité, tout en restant peu agréables à l'oeil.

Le scénario très organique suffit à pallier la nature peu agréable des dessins. Par contre, même Woch n'arrive pas à rendre les dessins d'Hoffman substantiels, ni même agréables. Heureusement le scénario reste toujours plein de verve. Les dessins clairs et très faciles à lire de Dillon forment un oasis esthétique bienvenu, après l'épreuve de ceux d'Hoffman. le style de chacun de ces 3 dessinateurs est totalement déconnecté de l'esthétique des superhéros ce qui apporte une crédibilité supplémentaire aux aventures de Constantine. 4 étoiles.

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- Épisode 50 - John Constantine a une longue conversation dangereuse avec le Roi des vampires qui souhaite l'enrôler à son service. Épisode 51 - Après un exorcisme peu concluant et salissant, John Constantine emmène des affaires à laver à la laverie automatique, où les autres clients sont comme troublés par les effluves de l'exorcisme raté. Épisodes 52 à 55 - Sir Peter Marston requiert l'aide de John Constantine pour arrêter un tueur en série issu de la haute société et possédé par un démon. Épisode 56 - Constantine voit dans le métro un individu se livrer à des confidences très embarrassantes à tue-tête et à la cantonade.

Avec l'épisode 51, John Smith (scénariste) et Sean Phillips (dessinateur et encreur) réussissent un excellent récit, une aventure parfaitement intégrée dans les conventions de cette série, un John Constantine dans un moment de fatigue, donc éprouvant plus de difficultés à surmonter cette épreuve psychique. Phillips est encore relativement débutant, avec des dessins s'appuyant sur des photographies retouchées pour les arrières plans, pour une ambiance des plus réalistes. le malaise est palpable de bout en bout du fait de petits décalages faisant monter une paranoïa suffocante. 5 étoiles.

Avec "Dangerous habits" (épisodes 41 à 46), Garth Ennis avait raconté une histoire reposant sur une intrigue très habile, inoubliable même ; il restait à déterminer quelle direction donner à sa version des aventures de John Constantine. Dans ces épisodes, Ennis raconte 2 types d'histoires de nature différente. Il y a celle où Constantine enquête sur une manifestation surnaturelle qui provoque des comportements allant d'anormaux (l'individu clamant ses sales petits secrets dans des endroits publics) à franchement horrifique (l'individu fasciné par la mutilation de la chair, le tueur en série massacrant ses victimes).

Dans ces histoires (épisodes 52 à 56), toute l'inventivité malsaine et parfois macabre d'Ennis peut s'exprimer dans des moments énormes, du plus sanglant (un individu dévorant sa propre chair à pleines dents) à l'humour le plus noir (un homme sniffant les cendres de père suite à un tour de passe-passe de Constantine). Ennis a conservé le dispositif initié par Jamie Delano qui consiste à donner accès, au lecteur, aux pensées de Constantine par le biais de cellules de texte. L'ironie et les sarcasmes du personnage sont mordants, mêlant pragmatisme et léger mépris pour un effet décapant. Ces épisodes se lisent avec grand plaisir, surtout quand le dessinateur est à la hauteur. 5 étoiles.

Les épisodes 52 à 55 sont dessinés et encrés par Will Simpson. Comme précédemment, le lecteur peut apprécier que Simpson a une approche graphique assez naturaliste. le fait qu'il s'encre lui-même lui permet d'affiner les visages et de préciser les textures des étoffes et des murs. du coup, ses dessins sont plus agréables et plus substantiels. Les dessins de David Lloyd (épisode 56) sont toujours aussi magnifiques dans leur encrage établissant une ambiance très noire, même s'ils sont un peu moins peaufinés que dans V pour Vendetta).

Le deuxième type d'histoires d'Ennis raconte les affrontements de Constantine contre les principaux démons des enfers. C'est ainsi que dans l'épisode 50 il a une (très) longue discussion (les trois quarts de l'épisode) avec le Roi des vampires pendant laquelle Ennis revient sur les événements les plus importants de la vie de Constantine et développe ce nouveau personnage. Ennis est un peu moins crédible dans ces confrontations tout en stratégie. Il remplit ses obligations de maintenir une forme de continuité avec le reste de l'univers DC (à l'époque le label Vertigo n'existait pas encore) en évoquant la série "Sandman" (Lucifer ayant abandonné les Enfers). Comme beaucoup de scénaristes, Ennis se heurte à l'incohérence du concept de base des Enfers dans cet univers semi partagé. La hiérarchie des Enfers est très floue, sa géographie encore plus. La seule occupation des démons semblent être de tourmenter des âmes, mais avec quand même une possibilité réduite de se manifester sur Terre, selon des règles très fluctuantes. Chaque démon semble être dans l'ignorance totale de ce que fait son voisin, etc.
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