Tous les jours je pense à Adela. Et si mes souvenirs ne surgissent pas au cours de la journée- taches de rousseur, dents jaunes, cheveux blonds trop fins, moignons à l'épaule, bottines en peau de chamois- il revient la nuit quand je rêve.
Oublier les gens qu’on a seulement connus à travers des mots est bizarre, tant qu’ils existaient ils étaient plus intenses que la réalité, et à présent ils sont plus éloignés que des étrangers.
ça fait des années que Lala a décidé d'être femme et brésilienne, mais elle est née homme et uruguayen. Aujourd'hui, c'est le meilleur coiffeur traversti du quartier et elle a arrêté de se prostituer ; prendre l'accent portugais lui était très utile pour accoster les hommes quand elle faisait la pute dans la rue, maintenant ça n'a plus de sens. Mais elle y est tellement habituée que cela lui arrive de parler au téléphone en portugais ou, quand elle s'énerve, de lever les bras au ciel en réclamant vengeance ou en implorant la Pomba Gira, son ange gardien, pour qui elle a dressé un petit autel dans un coin de la pièce où elle coupe ses cheveux, juste à côté de l'ordinateur, connecté en permanence sur des sites de tchat. (L'enfant sale)
Je n’étais pas la princesse du château, mais la folle enfermée dans la tour.
Nous marchons tous sur des os, il suffit de faire des trous profonds pour atteindre les morts enfouis. Il faut que je creuse, avec une pelle, avec les mains, comme les chiens, qui trouvent toujours les os, qui savent toujours où on les a cachés, où on les a oubliés.
Dès qu'elles ouvrirent la porte apparut Negro, un des chiens de l'Hôtel, le plus vigilant. Mais Negro connaissait Rocio et lui lécha la main. Pour le tranquilliser tout à fait, elle lui donna un chorizo, que l'animal alla manger près d'un cactus. Après quoi elles entrèrent sans pro-blème. Le couloir était très sombre, et quand Florencia alluma la lampe de poche, elle éprouva une peur bestiale : elle était sûre qu'elle allait éclairer un visage blanc se précipitant vers elles, ou que le faisceau de lumière laisserait voir les pieds d'un homme se dissimulant dans un coin. Mais il n'y avait rien. Rien d'autre que les portes des chambres, des chaises, le panneau indiquant les toilettes, la petite pièce Internet, avec l'ordinateur éteint et des photos encadrées des Chayas des années précédentes; l'Hôtel était toujours plein pendant la Chaya et, à cette occasion, on organisait des fêtes dans le jardin.
peut-être décida-t-il que sa tristesse allait m’accompagner pour toujours, selon son bon vouloir, parce que les gens tristes n’ont aucune pitié.