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Critique de Kirzy


Notre part de nuit est de mes lectures les plus marquantes et stimulantes de ces dernières années. Autant dire que je piste toute nouvelle publication de Mariana Ebriquez. Les dangers de fumer au lit vient d'être traduit en France mais ce recueil d'histoires courtes est paru en Argentine en 2009. Et ce qui est incroyable, c'est la cohérence entre les deux oeuvres.

Les douze contes horrifiques sont enracinés dans le quotidien, le terrifiant s'y infiltre au détour d'une phrase qui claque comme une matérialisation implacable et menaçante de nos névroses contemporaines. Chacun raconte la violence de nos sociétés capitalistes et patriarcales, innervée par celle du passé et notamment de la dictature qui a sévi en Argentine de 1976 à 1983, enlèvements, tortures, assassinats.

Les phrases de Mariana Enriquez ont une capacité dingue à générer de la métaphores, comme une manière d'opérer une catharsis tout en se distrayant avec la langue de la littérature horrifique et l'humour très sombre qui l'accompagne. La réalité est abordée sans anesthésie ni artifice avec une liberté absolue qui fait fi des tabous et pudeurs.

Une nouvelle fois, son talent à mélanger littérature engagée et réalisme magique latino-américain explose avec un naturel extraordinaire, parvenant mettre dans la tête du lecteur quelque chose d'impossible qu'il s'imagine pouvoir arriver, jusqu'à l'horreur la plus brute, la plus lubrique.

Toutes les histoires tirent un fil vénéneux qui explorent les abimes les plus retranchés de l'âme humaine jusqu'à la folie totale. Remplies d'hystérie collective, de malédictions, d'apparitions spectrales, de sorcières, de revenants, elles mettent en scène de très jeunes femmes, enfants, adolescentes, qui peuvent aussi bien subir la violence que la provoquer en tant comme protagonistes inquiétantes.

Parmi les douze, trois m'ont particulièrement impressionnée ( sans trop en dévoiler ):
- L'Exhumation d'Angelita : l'histoire d'une fillette fantôme enterrée dans un jardin qui pleure lorsqu'il pleut et revient hanter la petite-fille de sa soeur, comme écho aux charniers encore cachés hérités de la dictature de Videla.
- Les petits revenants : des centaines d'enfants disparus depuis des années réapparaissent tous en même temps mais sans que leur apparence n'est changé, comme une vengeance pour dire aux adultes qu'ils n'ont pas pris soin d'eux.
- Où es-tu mon coeur : menée par une jeune narratrice fétichiste des coeurs malades qui se masturbe frénétiquement en écoutant des battements cardiaques défaillants.

Convoquant aussi bien la poésie noire que l'horrifique le plus terrifiant, Mariana Enriquez créent durablement des images aussi puissantes que dérangeantes qui s'infiltrent viscéralement sous notre peau. La fulgurance de l'impact est renforcée par la brièveté des histoires ( une cinquantaine de pages pour la plus longue, une dizaine pour beaucoup ) et la volonté de ne pas leur donner d'élucidation, juste un point d'orgue perforant. Une expérience de lecture fascinante de radicalité.

PS : géniale idée que d'avoir exhumer une oeuvre peu connue de van Gogh ( Crâne de squelette fumant une cigarette ) pour la mettre en couverture !

Lu dans le cadre d'une Masse critique privilégiée
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