La culpabilité est l’honneur des faibles. Assumons nos actes, on en dort avec bien plus de plaisir.
– Je m’exprime mal. Contrairement à vous, ce n’est pas mon métier. D’ailleurs [écrivain] ce n’est pas un métier. Si vous écrivez pour en vivre, c’est déjà foutu. Ça doit être un luxe, un snobisme, une provocation, une liberté. Jamais une nécessité. Un besoin de mots, pas de fric. Les écrivains professionnels sont des traitres vendus au système, par avance damnés. Ils finissent en enfer, c’est-à-dire au pilon.
Mais la brouille a déjà dix ans. Depuis, l’eau a coulé sous les ponts, l’inimitié s’enkystant, devenant notre seul mode de relation. Nous dialoguons par piques trempées dans l’eau douceâtre de la courtoisie élémentaire. Nos rares rencontres se font ainsi, au hasard, comme une mauvaise surprise.
Après Aurore, Judith reste mon unique aventure sentimentale. Toutes ses «successeuses» n’ont été que des amours d’un soir, de jolies sucettes glacées, dépiautées et avalées avec ma gloutonnerie de gastronome tripier.
Mon rapport aux femmes, au sexe, au plaisir, est celui d’un consommateur éclairé mais frénétique, d’un esthète glouton, ivre du pouvoir de ses mots, comme l’enchanteur se grise de ses tours, oubliant qu’un grimoire peut conduire au désastre.
Sans vraiment se l’avouer, elle aurait voulu écrire. Mais elle connaissait trop bien les mots pour oser les domestiquer. Ils devaient rester, sauvages et carnassiers, dans cette grande savane sous cloche qu’on nomme l’édition. Certains savaient les dompter, d’autres se faisaient dévorer ; Judith préférait, depuis le confort d’un affût, contempler le carnage.
Dans le monde de l'édition, j'ai croisé de ces esprits frappeurs qui vouent un culte à Brasillach ou à Drieu, non pour leurs qualités littéraires mais pour leur jusqu'au-boutisme, leur attitude face à la mort. Un nihilisme de salon qui m'a toujours agacé. La pose est commode, de la provocation pour dîners en ville. On choque le bourgeois, on asticote les maîtresses de maison, mais rien ne bouleverse l'ordre établi. Tout comme prendre la défense des Chouans, proclamer son amour de Gobineau, ne pas dénigrer Albert Speer, goûter les pamphlets de Céline ou Rebatet. Des ivresses de planqués, de la branlette pour mandarins. (p.104)
La souffrance est mon jardin. La douleur porte mes mots. Je ne vois là ni fatalité, ni complaisance. Telle est juste ma nature: je suis chez moi dans le carnage.
je n'ai pas du tout aimé.
J’aime les rues vides. Comme j’aime la foule compacte. L’une et l’autre poussent à l’effacement. Vous devenez une ombre ou un quidam, ce qui revient au même.