Journaliste spécialisée dans les sujets de société révélateurs et dans les enquêtes sur les affaires criminelles,
Marie-France Etchegoin rend compte dans ce livre (mi-récit mi-essai) de son expérience d'enseignante bénévole dans un centre d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile.
Nous sommes en 2017. Ils viennent du Soudan, d'Afghanistan, de Syrie et d'une vingtaine d'autres pays et se retrouvent sans ressources, sans travail, chacun avec sa langue dans un pays étranger, le nôtre. Elle vit à Paris avec mari, enfants, travail et prend ses vacances "dans le sud". Leurs chemins se croisent.
Avec délicatesse, par petites touches, sans jugement et en essayant de garder la bonne distance, la narratrice nous décrit le patient apprentissage de notre langue par ces jeunes hommes dotés de niveaux de formation très différents les uns des autres. Cette description s'étale sur un an et demi ; elle illustre par de nombreux exemples les surprises que leur provoquent nos tournures, nos conjugaisons, notre vocabulaire et notre grammaire. Ne serait-ce que pour ce regard décalé porté sur la langue française, ce livre vaut la peine d'être lu.
Mais il a plus, beaucoup plus. Sans leçon de morale, l'auteure nous interroge sur la qualité de l'accueil que la France offre à ces hommes à la recherche d'une relative stabilité, sur les arcanes des circuits administratifs, sur la jungle des acronymes au milieu de laquelle ils doivent se battre pour obtenir ne serait-ce que le droit de postuler à un statut.
Marie-France Etchegoin décrit une belle expérience d'apprivoisement réciproque, la découverte progressive des parcours d'exil et le pouvoir de l'enseignement intuitif lorsqu'il est animé par l'empathie (car même si on pourrait lui reprocher l'absence de méthode, force est de reconnaître une féconde efficacité à son amateurisme : à l'évidence le bénévolat l'emporte ici sur le professionnalisme : la transmission va au-delà de l'apprentissage de la langue, elle porte en elle un véritable humanisme).
En refermant l'ouvrage, vous ne pourrez plus faire comme si vous ne saviez pas ; vous en saurez beaucoup plus sur ce que signifie l'exil que si vous aviez lu de nombreux articles dans les médias, car vous le saurez "de l'intérieur", vous aurez partagé votre temps avec des personnes qui vous auront apporté en échange de votre "enseignement" un peu de leur humour, de leur savoir et de leur sagesse.