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Critique de BazaR


Voici une excellente version du mythe de Médée.
Je ne vais pas le redétailler – l'ayant déjà fait pour la pièce de Corneille. Pour rappel, Médée est une magicienne. Tombée amoureuse de Jason, elle l'a aidé à récupérer la Toison d'Or. Elle est prête à tout pour lui : tuer son propre frère, éliminer l'usurpateur du trône de son homme, toujours avec la manière (plutôt cruelle et ne manquant pas d'originalité). Ils vivent ensemble à Corinthe jusqu'à ce que Jason – quel enfoiré ! – la largue pour la fille du roi Créon. Médée est sommée de quitter Corinthe. Ainsi trahie, elle se venge de la pire des façons : elle tue la fille du roi en lui envoyant en cadeau un voile empoisonné qui s'enflamme au contact (le roi y passe aussi d'ailleurs) et abat ses propres enfants afin de laisser Jason sans descendance.

Euripide n'insiste pas sur la magie de Médée, ni ne fait intervenir de dieux. C'est une femme qui agit, certes prête à tout et douée dans l'art du poison, mais surtout une femme qui met son intelligence au service de ses crimes. La magie n'apparaît guère qu'à la toute fin. Elle est une femme à bout de nerfs face à Jason qu'elle pourrit d'insultes et qui se défend si mal (« oui tu comprends, je fais ça pour nos enfants, pour qu'ils soient à l'aise, vois le bon côté des choses ». Un enfoiré je vous dis). Elle ne prend pas sa décision de gaieté de coeur ; le choeur d'ailleurs essaie de l'en dissuader. Elle hésitera longtemps à tuer ses enfants.
Elle met beaucoup d'intelligence dans la manipulation de Jason. Euripide emploie à nouveau beaucoup ses phrases à double sens – un sens pour l'interlocuteur, un autre à destination des spectateurs qui savent ce qui se trame –, par exemple quand elle dit :
« Prenez ces cadeaux de noces, enfants, et allez les porter de vos mains à la princesse – cette jeune épouse que cela va mettre au paradis – pour les lui offrir »
Mettre au paradis : en apparence cela veut dire « en joie », et sous l'apparence c'est à prendre littéralement « cela va la tuer ». J'adore.
Les scènes de mort, même si elles se passent en coulisse, sont délicieusement insupportables.

L'auteur incruste toujours quelques éléments sociaux de son Athènes contemporaine. Dans Médée, il parle avec amertume à travers son héroïne de l'hostilité que rencontre les intellectuels comme Socrate ou lui-même : pour l'opinion, ce sont soit des inutiles et fainéants, soit des gens qui se croient supérieurs et peuvent saper l'autorité des croyances et des coutumes.

Il faut bien avouer que j'ai du mal à considérer Médée avec compassion. Tuer ses enfants… ça ne passe pas. Jason, en revanche, a beaucoup baissé dans mon estime depuis que je connais son attitude. Venant de terminer Ada ou la beauté des nombres, de Catherine Dufour, je trouve que la condition féminine ne s'est guère amélioré entre l'Athènes antique et l'Angleterre victorienne.
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