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Citations sur Chevaucher le tigre (13)

Au lieu des unités traditionnelles — des corps particuliers, des ordres, des castes ou classes fonctionnelles, des corporations — articulations auxquelles chacun se sentait lié en fonction d’un principe supra-individuel qui informait sa vie entière en lui donnant un sens et une orientation spécifique, on a aujourd’hui des associations exclusivement dominées par les intérêts matériels des individus qui ne s’unissent que sur cette base : syndicats, organisations professionnelles, partis. L’état informe des peuples, devenus de simples masses, est tel qu’il n’y a pas d’ordre possible qui n’ait un caractère nécessairement centralisateur et coercitif. Et les inévitables structures centralisatrices hypertrophiques des États modernes, multipliant les interventions et les restrictions, alors même que l’on proclame les libertés démocratiques, si elles empêchent un désordre complet, tendent, en revanche, à détruire ce qui peut subsister de liens et d’unité organiques; la limite de ce nivellement social est atteinte avec les formes ouvertement totalitaires.

D’autre part, l’absurdité propre au système de la vie moderne est crûment mise en évidence dans les aspects économiques, qui la déterminent désormais d’une manière absolue et régressive. D’un côté, on est décidément passé d’une économie du nécessaire à une économie du superflu, dont une des causes est la surproduction et le progrès de la technique industrielle. Mais, pour que les produits fabriqués puissent s’écouler, la sur­production exige que l’on alimente ou suscite dans les masses un maximum de besoins : besoins auxquels correspond, à mesure qu’ils deviennent habituels et « normaux », un conditionnement croissant de l’individu. Le premier facteur, ici, c’est donc la nature même du processus productif qui, dissocié, s’est emballé et a presque débordé l’homme moderne comme un « géant déchaîné » incapable de s’arrêter, et justifiant la formule : Fiat productif, pereat homo! (Werner Sombart). Et si, dans le régime capitaliste, les facteurs qui agissent dans ce sens sont non seulement la recherche cupide des profits et des dividendes, mais aussi la nécessité objective de réinvestir les capitaux pour empêcher qu’un engorgement ne paralyse tout le système, une autre cause, plus générale, de l’augmentation insensée de la production dans le sens d’une économie du superflu, réside dans la nécessité d’employer la main-d’œuvre pour lutter contre le chômage : si bien que le principe de la surproduction et de l’industrialisation à outrance, de nécessité interne du capitalisme privé, est devenu, dans beaucoup d’États, une directive précise de la politique sociale planifiée. Ainsi se referme un cercle vicieux, dans un sens opposé à celui d’un système équilibré, de processus bien contenus entre des limites rationnelles. (pp. 219-221)
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Là où le sexe est mis en relief, il est naturel que la femme, sa dispensatrice et son objet, prenne le pas, et c'est ce que l'on constate, à bien des égards, aujourd'hui : à cette sorte de "démonie", d'intoxication sexuelle chtonique qui est le propre de l'époque actuelle et se manifeste de mille façons dans la vie publique et dans les moeurs, répond une gynocratie virtuelle, une tendance, sexuellement orientée, à la prééminence de la femme, prééminence qui, à son tour, est en relation directe avec l'involution matérialiste et utilitaire du sexe masculin ; il en résulte que le phénomène est surtout manifeste dans les pays où, comme aux Etats-Unis, cette involution est particulièrement poussée, grâce au "progrès". Ayant, à maintes reprises, traité de cette question, nous ne nous y arrêterons pas ici et nous bornerons à signaler le caractère collectif et, en un certain sens, abstrait, de l'érotisme et du genre de fascination qui se concentre aujourd'hui sur les idoles féminines les plus récentes, dans une atmosphère alimentée par mille moyens : cinéma, revues illustrées, télévision, spectacles, concours de beauté et ainsi de suite. Ici la personne réelle de la femme est souvent une sorte de support presque entièrement dépourvu d'âme, un centre de cristallisation de cette atmosphère de sexualité diffuse, si bien que la plupart des étoiles aux traits fascinants, "vamps" et femmes "fatales", ont, en pratique, en tant que personnes, des qualités sexuelles fort quelconques, leur fond existentiel étant plus ou moins celui de filles ordinaires et de mères de famille dévoyées. Quelqu'un s'est fort justement servi, à ce propos, de l'image des méduses, aux magnifiques couleurs irrisées, qui se réduisent à une masse gélatineuse et s'évaporent, si on les met au soleil, hors de l'eau. L'eau correspondrait ici à l'atmosphère de sexualité difuse et collective. [ C'est la contrepartie, chez la femme, de la virilité très primitive des nombreux hommes qui se distinguent aujourd'hui par leur force et leur masculinité purement athlétique ou sportive, comme des "durs", des "mecs", etc...]
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Page 96:La conscience du "pêché" est une concrétion pathologique née sous le signe du Dieu-personne, du "Dieu de la morale".La conscience d'une erreur commise remplaçant le sentiment du pêché a été, au contraire, un des traits caractéristiques des traditions à caractère métaphysique, et c'est un thème que l'homme supérieur peut faire sien à l'époque actuelle, au delà de la dissolution des résidus religieux, en suivant la ligne précédemment indiquée.(l'auteur fait ici référence aux deux degrés de l'action exposés plus haut:l'individuation par laquelle on fait de sa nature propre sa loi, et l'épreuve de la présence en soi de la dimension supérieure de la transcendance, racine ultime de notre être qui fait que l'on est tel qu'on est et pas autrement).
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L’ « apoliteia », c’est l’irrévocable distance intérieure à l’égard de la société moderne et de ses « valeurs », c’est le refus de s’unir à celle-ci par le moindre lien spirituel ou moral.
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La science moderne tout entière n’a pas la moindre valeur de connaissance; elle se fonde même sur une renonciation formelle à la connaissance au sens vrai du terme. La force motrice et organisatrice de la science moderne ne découle pas, en effet, de l’idéal de la connaissance, mais exclusivement de l’exigence pratique, on pourrait même dire de la volonté de puissance appliquée aux choses, à la nature. Qu’on nous comprenne bien : nous ne parlons pas ici des applications techniques et industrielles, bien qu’il soit évident que la science leur doive principalement son prestige aux yeux des masses, parce que l’on y voit une sorte de preuve péremptoire de sa validité. Il s’agit, au contraire, de la nature même des procédés scientifiques dans la phase qui précède les applications techniques, la phase dite de « recherche pure ». En effet, la notion même de « vérité » au sens traditionnel est étrangère à la science moderne; celle-ci s’intéresse uniquement à des hypothèses et à des formules permettant de prévoir avec le plus d’exactitude possible les cours des phénomènes, et de les ramener à une certaine unité. Et comme il n’est pas question de « vérité », comme il s’agit moins de voir que de « toucher », la notion de certitude dans la science moderne se réduit à celle de la « plus grande probabilité » : que toutes les certitudes scientifiques aient un caractère exclusivement « statistique », les hommes de science le reconnaissent ouvertement, et dans la toute dernière physique des particules, plus catégoriquement que jamais, le système de la science n’est qu’un filet qui se resserre toujours plus autour d’un quid qui, en soi, reste incompréhensible, à seule fin de pouvoir le maîtriser en vue de buts pratiques.

Ces buts pratiques — répétons-le — ne concernent que dans un second temps les applications techniques; ils servent de critère dans le domaine même qui devrait être celui de la connaissance pure, en ce sens que, même ici, la tendance fondamentale est de schématiser, d’ordonner la matière des phénomènes de la façon la plus simple et la plus maniable. Comme on l’a justement remarqué, une méthode s’est formée à partir de la formule simplex sigillum veri, qui confond la vérité (ou la connaissance) avec ce qui ne satisfait qu’un besoin pratique, exclusivement humain, de l’intellect. En dernière analyse, l’impulsion de connaître s’est transformée en une impulsion de dominer, et c’est un savant, B. Russell, qui a reconnu que la science, de moyen de connaître le monde, est devenue un simple moyen de changer le monde. (pp. 161-162)
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Il y a pourtant quelques hommes qui restent, pour ainsi dire, debout parmi les ruines, au milieu de cette dissolution, et qui, plus ou moins consciemment, appartiennent à cet autre monde. Une petite troupe semble disposée à se battre encore sur des positions perdues. Quand elle ne fléchit pas, quand elle ne s’abaisse pas à des compromis en se laissant séduire par ce qui pourrait lui assurer quelques succès, son témoignage est valable. D’autres, au contraire, s’isolent complètement, ce qui exige toutefois des dispositions intérieures et aussi des conditions matérielles privilégiées qui se font chaque jour plus rares. C’est, en tout cas, la seconde des solutions possibles. Il faut mentionner enfin les très rares esprits qui, dans le domaine intellectuel, peuvent encore affirmer les valeurs « traditionnelles » indépendamment de tout but immédiat, afin de développer une « action de présence », action certainement utile pour empêcher que la conjoncture actuelle n’entraîne une fermeture complète de l’horizon, non seulement sur le plan matériel, mais aussi sur le plan des idées, et ne permette plus de distinguer d’autre échelle de valeurs que celle qui lui est propre. Grâce à ces hommes, des distances peuvent être maintenues : d’autres dimensions possibles, d’autres significations de la vie peuvent être indiquées à celui qui est capable de se détourner, de ne pas fixer seulement son regard sur les choses présentes et proches.
Mais ceci ne résout pas le problème d’ordre personnel et pratique qui se pose, non à ceux qui ont la possibilité de s’isoler matériellement, mais à ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas couper les ponts avec la vie actuelle et qui ont de ce fait à résoudre le problème du comportement à adopter dans l’existence, ne serait-ce que sur le plan des réactions et des relations humaines les plus élémentaires.
C’est précisément ce type d’hommes que l’on a en vue dans cet ouvrage.
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Dans la femme vraie — typique, absolue — on reconnaissait en effet la présence de quelque chose de spirituellement dangereux, d’une force fascinante, en même temps que dissolvante; ceci explique l’attitude et les préceptes de cette ascèse particulière qui repoussait le sexe et la femme comme pour couper court au danger. L’homme qui n’a choisi ni la voie du renoncement au monde, ni celle d’un détachement impassible dans le monde, peut affronter le danger et, ici encore, extraire du toxique un aliment de vie, s’il use du sexe sans en devenir l’esclave et s’il sait en activer les dimensions profondes élémentaires et en un certain sens trans-biologiques.

Comme nous l’avons dit, ces possibilités sont exceptionnelles dans le monde actuel et ne peuvent se présenter que par suite d’un heureux hasard, en raison de ce quelles présupposent, et en raison aussi des circonstances absolument défavorables résultant de l’« émoussement » qui caractérise souvent la femme telle que l’a façonnée, en général, la civilisation actuelle. Il n’est pas facile, en effet, de s’imaginer une « femme absolue » sous les traits d’une fille « évoluée », plus ou moins américanisée. D’une manière plus générale, il n’est pas très facile non plus d’imaginer la coexistence des qualités requises, chez la femme, telles que nous les avons indiquées plus haut, avec celles qu’exigent des rapports qui, comme nous le disions, devraient aussi être « modernes », c’est-à-dire libres, clairs et indépendants. Il faudrait pour cela une formation toute spéciale de la femme, formation paradoxale, car en un certain sens elle devrait reproduire la structure « duelle » du type masculin différencié : ce qui, malgré certaines apparences, est bien loin de correspondre à l’orientation que prend généralement la vie de la femme moderne.

En réalité, l’entrée de la femme à égalité de droits, dans la vie pratique moderne, sa liberté nouvelle, le fait qu’elle côtoie les hommes dans les rues, dans les bureaux, dans la vie professionnelle, dans les usines, sur les terrains de sport et jusque dans la vie politique et dans l’armée, font partie de ces phénomènes de dissolution de l’époque dont il est difficile, dans la plupart des cas, de voir la contrepartie positive. Essentiellement, ce qui se manifeste dans tout ceci, c’est le renoncement de la femme à son droit d’être femme. La promiscuité des sexes dans la vie moderne ne peut que « décharger », dans une plus ou moins grande mesure, la femme de la force dont elle était porteuse, ne peut que conduire à des rapports, plus libres certes, mais primitifs, entravés par tous les facteurs et les intérêts pratiques qui dominent la vie moderne. Ainsi, les processus en cours dans la société actuelle, avec la nouvelle situation de la femme, s’ils peuvent être favorables à l’une des deux exigences que nous avons relevées — celle qui a trait à des rapports plus clairs, libres et essentiels, au-delà du moralisme comme des déliquescences du sentimentalisme et de l’« idéalisme » bourgeois — ne sauraient qu’être contraires à la seconde exigence, relative à l’activation des forces plus profondes qui définissent la femme absolue. (pp. 252-253)
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Chez le type d'homme différencié dont nous nous occupons, le même pressentiment ne peut au contraire agir que comme il avait agi déjà dans les couches supérieures du monde traditionnel et il représente un élément absolument essentiel de l'attitude requise pour rester debout de nos jours et "chevaucher le tigre". Comme ouverture à la la doctrine de la préexistence, il engendre une force sans égale. Il ravive la conscience des origines et d'une liberté supérieure se manifestant au sein du monde, la conscience que l'on vient de loin et donc aussi celle d'une distance. Il en résultera des conséquences naturelles qui s'inscriront dans la lignée déjà indiquée : tout ce qui, dans l'existence humaine en tant que telle, pourrait sembler important et décisif, prendra un sens plus relatif, mais sans rapport avec l'indifférence, l'"ataraxie" ou un sentiment d'exil. Ce n'est qu'en se fondant sur cette sensation que pourra s'ouvrir toujours plus, au-delà du Moi physique, la dimension de l'"être" et, partant, se renforcer la faculté de s'engager totalement et de se donner, sans exaltation ni transport, non par un élan purement vital, mais en vertu de la dualité dont nous avons déjà parlé à propos de l'action pure. Finalement, l'épreuve extrême qui peut facilement se présenter dans une époque comme celle-ci et celle qui la suivra - épreuve qui, comme nous l'avons dit, consiste à pouvoir être détruit sans pour autant être blessé - offre, au fond, un rapport étroit avec cette expérience vécue de la préexistence qui indique, elle, la direction à suivre pour parvenir à ressouder les "deux morceaux de l'épée"
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Dans une existence inauthentique, la recherche systématique de diversions, de succédanés et de tranquillisants, qui caractérise tant de "distractions" et de "divertissements" d'aujourd'hui, ne laisse pas encore pressentir à la femme la crise qui l'attend lorsqu'elle s'apercevra combien les occupations masculines, pour lesquelles elle a tant lutté, sont dépourvues de sens, lorsque s’évanouiront les illusions et l'euphorie que lui donne la satisfaction de ses revendications, lorsqu'elle constatera, d'autre part, qu'en raison du climat de dissolution, famille et enfants ne peuvent plus donner un sens satisfaisant à sa vie, ni homme ni sexe ne pourront signifier grand chose non plus, ne pourront plus constituer, comme ils le firent pour la femme absolue et traditionnelle, le centre naturel de son existence, et ne représentera plus pour elle qu'un des éléments d'une existence dispersée et extériorisée, allant de concert avec la vanité, le sport, le culte narcissique du corps, les intérêts pratiques et autres chose du même genre.
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(…) dans la grande majorité des cas, la famille des temps modernes est une institution de caractère petit-bourgeois, presque exclusivement déterminée par des facteurs naturalistes, utilitaires, routiniers, primitivement humains et, dans le meilleur des cas, sentimentaux. Surtout, son pivot essentiel a disparu, le pivot que constituait l’autorité, avant tout spirituelle, de son chef, du père, celle que l’on peut retrouver dans l'origine étymologique du mot pater : « seigneur », « souverain ». Ainsi, une des principales fins de la famille, la procréation, se réduit simplement et grossièrement à perpétuer le sang, perpétuation hybride, d’ailleurs, puisque, dans le cadre de l’individualisme moderne, les unions conjugales ne sont plus soumises aux limitations du lignage, de la caste, ou de la race et puisque, de toute façon, à la perpétuation du sang ne correspondrait plus la continuité la plus essentielle, c’est-à-dire la transmission, de génération en génération, d'une influence spirituelle, d’une tradition, d’un héritage idéal. Mais, d’autre part, comment pourrait-il en être autrement, et comment la famille pourrait-elle continuer d’avoir un centre solide qui la maintînt, si son chef naturel, le père, lui est aujourd’hui presque étranger, même physiquement, pris comme il l’est dans l’engrenage outrancièrement « pratique » de la vie matérielle, dans cette société dont nous avons montré l’absurdité foncière ? Quelle autorité peut bien revêtir le père, si, en particulier dans les « classes supérieures », il se réduit aujourd’hui, à peu de chose près, à être une machine à faire de l’argent ou un professionnel affairé ? Ceci s’applique souvent, en outre, aux deux parents, du fait de l'émancipation de la femme, de son entrée dans le monde des professionnels et des travailleurs, tandis que l’autre type de femme moderne, la « dame » qui s’adonne à une vie frivole et mondaine, est encore moins capable d’améliorer le climat intérieur de la famille et d’exercer une influence positive sur ses enfants. Les choses étant ainsi dans la majorité des cas, comment voir dans la famille moderne autre chose qu’un assemblage extrinsèque nécessairement exposé à des processus érosifs et dissolutifs, et comment ne pas compter parmi les mensonges hypocrites de notre société le caractère prétendument « sacré » de la famille ?
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