Citations sur La solitude : Ses peines et ses richesses (9)
Combien il est difficile de considérer comme un proche celui que nous sentons ou voyons différent, que sa différence soit de couleur, de vieillesse, de maladie, de malformation, de manque de parole ou de silence ! Et comme il est difficile pour celui qui se sent autre de nous rejoindre ! (p.145)
Le drame apparaît plutôt avec l'absence d'amour. Si je n'aime rien ni personne, si nul ne me semble digne d'amour, alors je suis voué à la mauvaise solitude. (p. 181)
Vivre seul signifie-t-il que l'on est seul ? Vivre seul ne permettait-il pas d'approfondir des liens que parfois celui qui vit en couple, en famille ou en petite communauté risque d'oublier ou de négliger ? (p. 120)
Celui qui vit seul, ou celui qui se sent seul ou se veut seul même au milieu des autres, bien souvent ,écrit son journal, entretient une correspondance avec ses amis. Il écrit pour s’écrire à lui-même, pour s’exprimer et se lire ou s’entendre penser et ressentir, puisqu’il ne peut pas toujours le faire au fil des jours pour un proche qui n’est pas là ou qui n’existe pas. (…)
Mais, nous l’avons vu, celui qui vit seul court le risque incessant de s’enfermer ou de se noyer dans un activisme menteur. Comme celui qui est en lien nécessaire avec les autres risque d’oublier la richesse de l’indispensable et réelle expérience de la solitude . (p. 123)
Enraciné dans sa ville, étroitement lié à sa famille, apprécié par ses amis, inscrit dans la communauté juive à laquelle il appartient, Franz Kafka n'en est pas moins un solitaire. Un solitaire heureusement plein d'humour, mais sans cesse confronté à de douloureux paradoxes: il est juif et cette appartenance fait en même temps de lui un exclu, un étranger. Il a une famille mais cette famille lui pèse et le culpabilise comme lui pèse et le culpabilise son sentiment d'exclusion. (p. 115)
Chaque fois qu'il [Kafka ] tente un projet de mariage, il recule, affolé- qu'il s'agisse de Milena ou, plus tard, de Felice. Il est convaincu que seule la solitude lui convient : "Il me faut beaucoup de solitude; ce que j'ai accompli n'est qu'un succès de la solitude. je hais tout ce qui ne concerne pas la littérature. " (p. 117)
Dans - Le dialogue-, François Cheng parle admirablement de l'immigré : "Tout exilé connaît au début les affres de l'abandon, du dénuement et de la nostalgie. Déchu entre la nostalgie du passé et la dure condition du présent, il expérimente une souffrance plus "muette", plus humiliante, qui le tenaille; n'ayant qu'une connaissance rudimentaire de la langue de son pays d'adoption, il se voit réduit à un être primaire aux yeux de tous . [...] L'exilé éprouve la douleur de tous ceux qui sont privés de langage et se rend compte combien le langage confère la "légitimité d'être". " ( p. 139)
Il n'empêche. Avec Kafka, nous voyons vivre un solitaire choisissant de l'être par difficulté de caractère et en raison de ses problèmes névrotiques. Mais aussi par passion de la littérature, pour une oeuvre qu'il n'imagine pas d'accomplir autrement que seul. La solitude ici est à la fois subie et choisie. Elle a un but qui lui donne sens, même si c'est dans le déchirement permanent. (p. 118)
- L'Invention de la solitude- apparaît comme un ouvrage fondateur de l'ensemble des écrits de Paul Auster, pouvant être lu comme l'expression inlassable de sa dette infinie à l'égard d'un père toujours obscur mais dont l'héritage lui aura permis d'écrire, donc de vivre. " Comment être soi-même au monde quand son père était hors jeu ? " dit de lui Pascal Leboeuf. (p. 59)