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Critique de PatriceG


Moonfleet, parution en Angleterre en 1898
John Meade Falkner

Un auteur dont on a si peu parlé en France, allez savoir pourquoi ? Parce qu'il nous vient tout droit d'Angleterre, né dans l'époque victorienne.. en tout cas à mes yeux il vaut bien une messe.

Il est parfois des écrivains dont je vois plus le roman de leur vie que le roman de leur oeuvre, c'est le cas de John Meade Falkner, non pas que l'oeuvre ne m'ait pas emballé, c'est au contraire le cas et je le place dans mon panthéon littéraire, mais j'avoue que sa vie a vraiment un côté dépassement de soi de manière vertigineuse et fascinante. Vraiment cet auteur, de son état marchand de canons sur fond de guerre de 14 mérite mille fois une biographie. Je ne vais pas lancer un appel désespéré, je crains qu'il faille encore attendre que les valeurs médiocres se renversent pour laisser place à l'écume du temps qui passe. Pour l'heure c'est plutôt d'Angleterre que nous arrivent les biographies de grands auteurs étrangers dans notre parangon vertueux à la française.

Je ne dirai pas comme Michel le Bris, le stevensonnien qui vient de nous quitter et qui nous lègue comme directeur de collection chez Phébus la remontée de ce chef d'oeuvre Moonfleet, que son auteur était romancier à ses heures perdues, j'ai même le sentiment du contraire justement. Après ses affaires rondement florissantes quand il sillonnait l'Angleterre et au delà en train par exemple, joignant sans doute l'utile à l'agréable, l'homme ne songeait qu'à se plonger dans ses passions qui furent, outre sa dévotion, pour l'essentiel de sa vie la lecture et l'écriture, la poésie. C'est un babeliote dont le nom me reviendra qui disait que le voyage en train n'a pas son pareil comme facteur d'inspiration. Et bien Falkner n'a pas manqué cela, n'a pas raté la marche d'un train pour nous produire ce fabuleux Moonfleet.

Lisons plutôt à cet instant, avant de reprendre la route de l'homme, deux, trois extraits de sa prose d'une qualité de premier ordre et d'une exceptionnelle beauté :
"Elle (tante Jane) ne faisait jamais de longs discours quand elle était en colère, mais elle avait une manière de ne rien dire qui était bien pire encore"
"(..) La rue était silencieuse comme une tombe, mais je n'en restai pas moins dans l'ombre des maisons. J'ai remarqué que lorsque la lune brille, un grand silence s'abat toujours sur la nature, comme si celle-ci s'absorbait dans la contemplation de sa propre beauté .."
"(..) Je contournai les ifs. La tombe se détachait toute blanche sur le fond d'arbres, et au pied de la dalle le trou faisait comme un morceau de velours noir étalé sur le sol. En un éclair, je songeai que Barbe Noire était peut-être là, qui me guettait du fond du trou. Fallait-il continuer, revenir sur mes pas ? J'entendais l'eau frissonner sur la grève - ce n'était pas le bruit des vagues, car de la baie lisse comme un miroir ne parvenait qu'un clapotis sur les galets. Je cherchai une excuse pour retarder ma descente. Finalement, je convins avec moi-même que je compterais vingt fois le bruit de la mer et qu'à la vingtième fois je m'engouffrerais dans le trou .."

Notre ami Jean Meade Falkner avait de qui tenir à travers la lignée des grands auteurs victoriens si admirables, ses aînés que sont Eliot, Makepeace Thackeray et Trollope. C'est Thomas Hardy qui en dira le plus grand bien, cette approbation du grand romancie vaut un brevet littéraire. Son père était pasteur anglican dans le Wiltshire. Lui va suivre une ascension sociale phénoménale et damera le pion à ses aînés qui n'avaient pas réussi à un tel niveau. Après des études à Hertford Collège et à Oxford d'où il sort avec un diplôme d'historien, il est directeur dans la prestigieuse société d'armement Armstrong Whitworth. A la mort du boss, il en prend la direction .. Bibliophile distingué, il recevra des mains du pape une médaille d'or pour ses recherches à la bibliothèque du Vatican et sera fait en 1921 bibliothécaire honoraire du doyen et du chapitre de la cathédrale de Durham (proche de Newcastle). Par ailleurs il sera un grand collectionneur de missels et auteur de guides réputés sur différents comtés de l'Angleterre profonde. Sa femme, la fille cadette du général John Miller Adye, épousée en 1899, lui survivra huit ans.

Outre Thomas Hardy qui lui témoigna sa confiance en engageant avec lui une correspondance suivie, d'autres grands noms de la littérature le saluèrent en des termes fort élogieux, comme Walpone, Forster, Golding, Betjeman ..

Notons encore dans la vie foisonnante de Falkner qu'au tournant du siècle il travaillait à la rédaction d'un nouveau roman d'aventures : il en perd le manuscrit dans un train. Curieuse ironie du sort. Ah, là, là ! que ce doit être dur de vivre pareille chose, l'anxiété que cela provoque : comme une partie de soi-même qui s'en va, le dégoût absolu ! C'est là qu'on mesure le gouffre ou le décalage entre l'intérêt majeur de l'artiste pour une chose et le désintérêt placide du préposé ou du voyageur qui passe après pour la même chose ! Il cessa alors d'écrire, bouleversé par cette malchance. Puis le sort va encore s'acharner sur lui lorsqu'il perdra ses papiers et sa correspondance dans un incendie. Il consacrera les dernières années de sa vie à des travaux d'histoire et mourra à Durham en 1932 dans un quasi oubli.

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