Et après il passait quelques jours dans la maison. Se rappelait les choses simples qu'elle avait essayé de lui inculquer. Se rappelait les couchers du soleil et les cieux illuminés d'étoiles et le réconfort de l'espace.
Dans l’hébétude de l’alcool et de la drogue sa vie défilait, pleine de fantômes et d’apparitions, et il cherchait quelque chose de spécifique à quoi se raccrocher, mais son esprit s’écoulait comme une rivière qui a la fois lui apportait des visions et les charriait loin de lui.
Doigts brisés, rotules luxées, entorses cervicales et crâne ouvert, et encore et encore et encore les poings et les jointures de doigts, les genoux et les coudes, et il sentait tout ça comme si chaque coup qu’il avait reçu et chaque coup qu’il avait donné continuait d’exister dans un nuage de douleur invisible qui l’enveloppait et le retenait comme une âme migrante à la recherche de sa maison.
Dans le bourdonnement de l'orage, il s'imagina que la pluie était un lubrifiant pour ses os ou une douche curative qui ferait disparaître sa douleur et ses péchés.
- T'as pas l'air d'avoir jamais gagné grand-chose, déclara l'homme au chapeau de paille en tendant le cou pour mieux voir le visage tordu et couvert de cicatrices de Jack.
Il la regardait faire le tour de la chapelle conscient que mieux valait ne pas la déranger ni lui demander si quelque chose n’allait pas car ce n’était pas une chose qu’on pouvait expliquer. Juste ce sentiment d’être une âme singulière parmi les vivants infinis et les morts innombrables avec cette terre noire collée à la peau de nos pieds nus.
Fatigué de la dope et du fait qu'il en avait tellement besoin et fatigué de l'alcool et de la nausée. Fatigué des dettes qui s'accumulaien et de courir d'un endroit à l'autre pour tenter de se refaire et fatigué de la vision de lui-même dans le miroir et du sentiment de déloyauté qui le taraudait chaque fois qu'il pensait à Maryann.
Il traversa le centre ville fatigué avec ses vieux bâtiments majestueux qui avaient enduré des des décennies d'apathie. Des façades sillonnées de trace de pluie et des pancartes " à vendre" délavées aux fenêtres et des pots de fleurs gros comme des tonneaux avec des des pétunias blancs et violets comme un petit rappel de la couleur de la possibilité.
Il n'avait pas choisi d'être le fils de parents qui s'en fichaient. Il n'avait pas choisi d'être un enfant abandonné devant un bric-à-brac. Il n'avait pas choisi le vide. Ces secrets faisaient simplement partie du monde, cachés à sa vue par une main plus grande que la sienne.
Skelly vit l'enveloppe épaisse et le nom du casino dans le coin gauche. La certitude qu'il éprouvait face à ce que le destin avait déjà mis à ses pieds par cette nuit humide, quand tout ce qu'il avait voulu faire c'est jouer un peu d'harmonica et se saouler un peu, grandit en lui pour atteindre un niveau inconnu. Une pensée traversa très brièvement son esprit étroit et usé. " J'ai touché le jackpot!"